Temps d’attente pour une chirurgie au Canada — Dr David Urbach

28 min | Publié le 23 mars 2023

Déjà avant l’éclosion de la pandémie, les systèmes de santé du Canada faisaient face à de nombreux défis quant aux temps d’attente pour une chirurgie. La situation est maintenant bien pire. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Avis Favaro échange avec le Dr David Urbach, chef du département de chirurgie au Women’s College Hospital et professeur à l’Université de Toronto, à propos des solutions que tentent de trouver les hôpitaux et les systèmes de santé au Canada pour rattraper les énormes retards en chirurgie et régler le problème à long terme.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Avis Favaro

L’accès à une opération chirurgicale non urgente a été réduit durant la pandémie de COVID-19. Selon les nouvelles données publiées par l’Institut canadien d’information sur la santé, 930 000 interventions chirurgicales de moins que prévu ont été effectuées dans l’ensemble du pays au cours des 31 premiers mois de la pandémie. Ainsi, près d’un million de Canadiens n’ont pas eu les interventions recommandées et bon nombre d’entre eux attendent. Et cela dérange des chirurgiens comme David Urbach.

Dr David Urbach

En tant que médecin, il est très frustrant de ne pas pouvoir fournir les soins dont les gens ont besoin quand ils en ont besoin. C’est terrible pour les patients. J’éprouve une profonde sympathie pour les patients, mais cette situation est aussi stressante pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le système de santé.

Avis Favaro

Le Dr Urbach dirige le service de chirurgie de l’Hôpital Women’s College de Toronto et c’est en tant que professeur de chirurgie et de politique de santé à l’Université de Toronto qu’il étudie des questions comme qui doit être opéré et à quel moment.

Aujourd’hui, il nous parle des dernières données de l’ICIS sur les temps d’attente, des leçons qui en sont tirées et d’un moyen qui, selon lui, pourrait mettre fin aux listes d’attente en simplifiant le système de santé actuel.

Dr David Urbach

Ce n’est pas sorcier. Ce n’est même pas compliqué.

Avis Favaro

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Nous l’appelons CHIP, en anglais. Je suis Avis Favaro, et j’anime cette discussion.

Remarque : Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’ICIS, mais il s’agit d’une discussion libre et ouverte. Cette émission porte sur les temps d’attente pour les interventions chirurgicales et sur la meilleure façon d’aider les milliers de Canadiens dont l’intervention a été reportée et qui risquent d’attendre plus longtemps que le temps d’attente sain et sécuritaire.

Bienvenue au balado, Dr Urbach. Merci d’être des nôtres.

Dr David Urbach

Merci beaucoup de m’avoir invité.

Avis Favaro

Depuis que je présente des rapports, je n’ai jamais vu autant de discussions sur les soins de santé et les temps d’attente pour les interventions chirurgicales. Je n’aurais jamais pensé mentionner ce chiffre : près d’un million d’interventions chirurgicales ont été reportées en 31 mois au Canada. C’est incroyable.

Lorsque vous avez pris connaissance des données de l’ICIS, qu’en avez-vous pensé?

Dr David Urbach

Nous savions qu’il y avait de gros problèmes pendant les différentes vagues de la pandémie. C’est assez frappant quand on regarde les données. De toute évidence, nous subissons toujours les répercussions des chocs profonds qu’a subis le système de santé en raison de la réduction des activités dans les hôpitaux lors de la pandémie.

Avis Favaro

Est-ce que nous avons déjà eu près d’un million d’interventions chirurgicales retardées?

Dr David Urbach

Nous n’avons jamais connu de crise semblable, même si nous avons commencé assez récemment à bien mesurer et comprendre les temps d’attente pour les interventions chirurgicales. Mais, à notre connaissance, le nombre d’interventions retardées n’a jamais atteint ce nombre.

Avis Favaro

Décrivez l’état actuel du système en un mot.

Dr David Urbach

Nous sommes dans un trou. Oui. Nous creusons, nous essayons de sortir d’un trou profond. Les temps d’attente et l’accès ont toujours été un problème, mais ils n’ont jamais été aussi importants qu’en ce moment. Il y a probablement des personnes qui ne se feront jamais opérer parce qu’elles n’en ont pas eu l’occasion, que la maladie a progressé ou que ce n’est même plus une option pour elles. Donc, cet arriéré peut avoir de graves conséquences.

Avis Favaro

Nous parlons des temps d’attente. Nous parlons des données. Mais en réalité, derrière les temps d’attente, il y a des gens.

Selon les nouvelles données, les interventions chirurgicales contre le cancer ont baissé de 6 %; les interventions chirurgicales cardiaques, de 8 %; les arthroplasties du genou et de la hanche, de 36 000 et de 11 000, respectivement; et chez les enfants et les adolescents, certaines interventions chirurgicales pour des fractures herniaires ont diminué de 23 % depuis le début de la pandémie. Les détails seront publiés sur le site Web de l’ICIS, au icis.ca, afin que les personnes intéressées puissent y jeter un coup d’œil.

En tant que médecin, en tant que chirurgien, quelle est votre réaction par rapport à ces données?

Dr David Urbach

Oui. Ces données sont très intéressantes, car elles montrent que le système s’est adapté en temps réel lorsque la crise a éclaté. On peut le constater par le fait que certaines interventions ont été réduites de manière beaucoup plus substantielle que d’autres. Ainsi, la réduction des interventions cardiaques et oncologiques a été relativement plus faible par rapport à de nombreuses autres interventions pour des maladies chroniques comme l’arthrite, les hernies et les interventions pédiatriques.

Cela montre que le système essayait de prioriser les interventions chirurgicales les plus urgentes afin que toute personne dont la vie ou les membres étaient en danger ou qui avait besoin d’être secourue puisse bénéficier de ces interventions. Ce sont alors les autres maladies qui en ont souffert, des maladies chroniques, des maladies qui ne mettent pas la vie en danger de façon imminente, mais qui sont souvent très invalidantes.

Avis Favaro

Lorsque nous avons examiné de plus près les données de l’ICIS, nous avons constaté que le système s’efforce de rattraper son retard, et je pense que le nombre total d’interventions chirurgicales à travers le pays semble aller dans la bonne direction. Il revient à ce qu’il était avant la pandémie, mais la demande n’est pas encore satisfaite.

C’est donc de ce trou dont vous parlez, Dr Urbach?

Dr David Urbach

Le problème lié aux temps d’attente au Canada existait déjà avant la pandémie; nous ne l’avons jamais réglé. Nous avons toujours eu des temps d’attente. Nous avons toujours eu des préoccupations publiques et il y a eu de nombreux débats politiques sur le système canadien et sur sa capacité à répondre aux besoins de la population. Mais la situation s’est aggravée. C’est ce que je veux dire. Nous devons sortir de ce trou.

Une fois que nous serons sortis du trou, le trou sera moins profond. Nous devons apporter des changements structurels pour améliorer la façon dont les Canadiens peuvent accéder à ces services, car le système de santé suscite beaucoup d’insatisfaction de la part du public. Et cela génère beaucoup d’anxiété, et explorer d’autres modes de prestation ou de paiement des soins peut, en fin de compte, constituer un problème pour le système canadien d’assurance maladie et la manière dont nous avons bâti notre système de soins de santé à payeur unique, financé par l’État, qui est destiné à fournir des soins de santé à tout le monde sur la base des besoins plutôt que de la capacité à payer.

Avis Favaro

J’aimerais vraiment comprendre un peu votre motivation. Qu’est-ce qui fait de vous un médecin? Quel type d’intervention chirurgicale pratiquez-vous? Et que se passe-t-il lorsque les patients doivent attendre plus longtemps? Quel est le prix à payer?

Dr David Urbach

Oui. Je suis un chirurgien généraliste et j’effectue principalement des interventions abdominales. Je pratique un grand nombre d’interventions chirurgicales courantes qui préoccupent les gens en ce moment, comme les réparations de hernies et les interventions chirurgicales pour la vésicule biliaire.

En tant que médecin, il est très frustrant de ne pas pouvoir fournir les soins dont les gens ont besoin quand ils en ont besoin. C’est terrible pour les patients. Et j’éprouve une profonde sympathie pour les patients, mais cette situation est aussi stressante pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le système de santé. Parce que dans la vie, les circonstances les plus stressantes sont souvent des situations où vous n’avez pas la capacité de résoudre un problème et où vous avez l’impression d’être dans une impasse. Et c’est souvent ce qui se passe lorsque des patients attendent une intervention chirurgicale. Nous ne pouvons pas... je ne peux pas régler ce problème individuellement en tant que chirurgien. Si j’ai 50 personnes qui attendent une intervention chirurgicale et que le temps disponible en salle d’opération est limité, je ne peux pas résoudre ce problème moi-même.

Toute solution doit impliquer l’ensemble du système, tous les chirurgiens et tous les patients, afin de déterminer s’il est possible de nous coordonner, de déterminer qui a la capacité ou à quel endroit il y a une meilleure capacité dans le système, de sorte que nous soyons en mesure de réduire ces temps d’attente. Mais la situation est très frustrante pour nous les chirurgiens et pour bon nombre d’intervenants du système des soins de santé parce que nous ne pouvons pas résoudre ce problème tout seuls.

Avis Favaro

Qu’arrive-t-il aux patients? Qu’est-ce qui arrive à ceux qui attendent?

Dr David Urbach

Nous ne le savons pas, et je pense que ces gens souffrent. Ils appellent. Ils cherchent des solutions. Ils consultent donc plusieurs chirurgiens et souvent – c’est assez courant, mais pas rare je dirais – quelqu’un a annulé son intervention, car il s’est fait opérer ailleurs.

Les personnes se retrouvent donc sur plusieurs listes d’attente parce qu’elles ne sont pas gérées de façon coordonnée. Ils défendent leur propre cause et ils essaient d’obtenir les soins dont ils ont besoin.

Avis Favaro

Les patients se démènent pour faire bouger les choses. Est-ce que ça fonctionne? Est-ce que c’est la bonne chose à faire?

Dr David Urbach

Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de gérer un système de santé. Je comprends pourquoi les gens agissent ainsi. Ils veulent être traités, ils veulent améliorer leur sort, et ils méritent d’être traités.

Avis Favaro

Dans quelle mesure les listes d’attente et les arriérés sont-ils directement liés à la manière dont nous avons géré la pandémie dans les hôpitaux? Y a-t-il des messages importants à faire passer?

Dr David Urbach

Oui, bien sûr. Je pense que nous avons beaucoup appris. Je pense que l’arriéré est lié à deux choses, la première étant, comme vous l’avez mentionné, la réduction globale des interventions chirurgicales afin de réaffecter les ressources là où elles étaient nécessaires pendant la crise.

La seconde est la perte de ressources humaines dans le domaine de la santé. C’est donc principalement la perte de personnel infirmier qui nous a nui.

Avis Favaro

Est-ce que la pénurie de personnel infirmier est la principale raison qui explique la situation actuelle?

Dr David Urbach

Oui. Actuellement, on manque de personnel infirmier de bloc opératoire, de salle de réveil et d’unité. On manque aussi d’assistants en anesthésie, d’anesthésistes et d’inhalothérapeutes.

À l’heure actuelle, il s’agit plus d’un problème de personnel que d’un problème de ressources ou même d’un problème d’argent. Il peut sembler étrange de parler de cela au Canada, où nous avons constamment l’impression que le système est sous-financé. Certaines provinces ne sont même pas en mesure de dépenser tout l’argent qu’elles ont alloué aux soins de santé, de dépenser les fonds prévus, simplement parce qu’elles ne trouvent pas le personnel à embaucher pour fournir ces services. Le personnel infirmier constitue donc, à l’heure actuelle, un goulot d’étranglement, c’est certain.

Avis Favaro

Qu’aurions-nous pu faire ou que devrions-nous faire la prochaine fois qu’une crise de ce type survient pour ne pas nous retrouver dans ce gouffre chirurgical?

Dr David Urbach

Les données de l’ICIS sur l’évolution de la pandémie montrent que la plus forte réduction de l’activité a été observée au début de la pandémie, en mars et avril 2020, alors que le nombre de patients atteints de la COVID-19 dans les hôpitaux n’était pas très élevé. C’était très alarmant et il y avait une grande peur parce que les gens qui étaient hospitalisés étaient très, très malades. Nous avons tout arrêté pendant une période assez longue alors qu’il aurait été possible, rétrospectivement, de maintenir un certain accès aux soins chirurgicaux, surtout dans les endroits où il n’y avait pas beaucoup de cas de COVID-19.

Dans plusieurs régions où il n’y avait pas de cas de COVID-19 dans les hôpitaux ou dans la collectivité, nous aurions probablement pu continuer à effectuer au moins certaines interventions, ce qui n’aurait pas créé un arriéré aussi considérable.

Avis Favaro

Nous devons tirer des leçons de ces événements, car de nombreux Canadiens souffrent, non pas de la COVID-19, mais des décisions qui ont été prises et qui ont retardé les interventions chirurgicales.

Dr David Urbach

Oui. Il est peu probable que nous parvenions à la perfection la prochaine fois. Mais je pense que nous avons beaucoup appris sur ce que nous pouvons faire en matière d’approche plus personnalisée ou sur mesure pour préserver la capacité, au moins sur une base régionale.

Nous avons appris, entre autres, que le fait d’interrompre les services de santé pendant une période prolongée entraîne des conséquences à très long terme, et qu’il faudra beaucoup de temps pour rétablir la situation.

Avis Favaro

Parlons donc de la reprise après la pandémie. Comment peut-on améliorer la situation à court terme?

Dr David Urbach

Oui. Je pense donc que le système doit être coordonné, car il est actuellement trop cloisonné.

Avis Favaro

En d’autres termes, chaque médecin a sa propre liste d’attente.

Dr David Urbach

Oui. Chaque médecin fait ce qu’il veut et n’est pas lié aux autres médecins.

La plupart des gens pensent que si quelqu’un est sur une liste d’attente ou attend une intervention chirurgicale, il fait partie d’une grande liste d’attente parmi de nombreuses personnes dans une région ou un hôpital. Mais ce n’est pas vrai. La plupart des personnes qui attendent sont un peu comme une liste sur le bureau de quelqu’un. Le chirurgien doit programmer les interventions pour ses propres patients, il gère sa propre pile de dossiers, tandis que son voisin gère une autre pile de patients, et il n’y a pas de communication entre les deux.

Et très souvent, la solution consiste à mettre les gens sur une liste d’attente commune, c’est-à-dire un « modèle à accès unique ». Actuellement, lorsqu’un médecin de famille détermine qu’un patient a besoin d’une arthroplastie, par exemple, il doit trouver le bon chirurgien ou le bon spécialiste qui peut voir le patient dans un certain délai et qui, espérons-le, a une courte liste d’attente et peut résoudre son problème. Si nous avions une liste d’attente unique, ce même médecin mettrait le patient sur la liste d’attente centralisée, de sorte que ce patient verrait le prochain dispensateur de soins disponible.

Avis Favaro

C’est un peu comme faire la file à la banque : une file, plusieurs caissiers de banque.

Dr David Urbach

Exactement. La raison pour laquelle ce modèle fonctionne est que vous répartissez le fardeau de l’attente sur l’ensemble du groupe, de sorte que personne ne souffre plus que les autres.

En étant tous dans la même file d’attente, les gens attendent le moins longtemps possible, compte tenu du nombre de personnes qui attendent et des circonstances du moment.

Avis Favaro

Que montre la recherche? Cette approche fonctionne-t-elle? Accélère-t-il réellement l’accès au traitement?

Dr David Urbach

Oui, cette approche accélère effectivement le traitement en matière d’attente moyenne, et la réduction se situe entre 20 et 30 % dans l’ensemble, ce qui représente une diminution significative de l’attente.

Mais plus encore, elle réduit réellement la variation des temps d’attente. Pour vous donner un exemple, nous avons mené nos propres recherches en Ontario sur les temps d’attente pour des interventions comme la cataracte ou l’arthroplastie du genou. Elles ont démontré qu’avant la pandémie, les patients de chirurgiens situés dans la même ville pouvaient attendre un mois tandis que d’autres attendaient plus d’un an pour la même intervention au cours de la même période. Les variations sont donc considérables.

Et si vous demandez à un patient : « Combien de temps avez-vous attendu pour une intervention chirurgicale de la cataracte? » Une personne pourrait vous dire qu’elle n’a attendu qu’un mois. Quelqu’un d’autre pourrait dire 18 mois. Il est injuste que certaines personnes souffrent plus longtemps que d’autres parce que nous n’avons pas coordonné le système de manière à gérer une file d’attente commune.

Avis Favaro

Vous savez, j’entends certains chirurgiens dire qu’ils ont une longue liste d’attente et que c’est le signe qu’ils sont de bons chirurgiens, qu’ils reçoivent beaucoup de recommandations, que le bouche-à-oreille fonctionne. Les listes d’attente ne seraient-elles pas en fait une marque de commerce pour certains chirurgiens?

Dr David Urbach

Cette perception semble vraie. Mais l’idée qu’il y a une variation dans la qualité des soins ou dans les compétences de ces chirurgiens est fausse. Car ce que j’ai vu et ce que nous savons, c’est que bon nombre de chirurgiens qui ont des listes d’attente courtes sont d’excellents chirurgiens et fournissent des soins d’une qualité exceptionnelle. Il existe une littérature sur la capacité des gens ou même des médecins orienteurs de déterminer si un chirurgien est meilleur qu’un autre. Et la vérité, c’est qu’ils ne le peuvent pas. Une fois que vous êtes dans la file d’attente et que vous recevez un traitement, vous recevez généralement un excellent traitement.

Je considère donc que notre rôle, en tant que responsables du système de santé, est d’assurer une qualité de soins uniformément élevée. Donc, s’il existe des variations de compétences ou de qualité, il ne s’agit pas d’une caractéristique à exploiter. Pour moi, il s’agit d’un problème dans le système qui doit être résolu. Il nous appartient, en tant que chefs du service de chirurgie dans les hôpitaux, de nous assurer que la qualité des soins est exceptionnelle dans tous les domaines, plutôt que de miser sur un marché où les gens doivent avoir peur ou se dire qu’ils feraient mieux de s’adresser à un bon chirurgien plutôt qu’à un mauvais.

Avis Favaro

En ce qui concerne le guichet unique, c’est logique. Je sais que l’Association médicale canadienne et d’autres groupes en parlent depuis 2014. Quelle est la fréquence d’utilisation? Est-il en place? Pourquoi devez-vous le suggérer maintenant si les données scientifiques indiquent qu’il est utile?

Dr David Urbach

Oui. Un modèle à accès unique est utilisé dans certaines régions du Canada, mais ce n’est pas un modèle courant, il s’agit d’une exception. C’est donc une excellente question.

Mais à l’heure actuelle, la culture est telle que les chirurgiens sont très indépendants, et ce type de coordination n’a jamais fait partie de la culture ou de l’histoire. C’est nouveau, et les gens ont tendance à avoir peur du changement et à y résister, surtout s’il s’agit de quelque chose d’aussi émotif que la peur de perdre son autonomie, son prestige, sa capacité à gérer son propre cabinet et à attirer ses propres patients. Beaucoup de chirurgiens ont des inquiétudes et des craintes.

Avis Favaro

Vous faites un petit exercice avec eux. Qu’en est-il?

Dr David Urbach

Lorsque je m’adresse à des chirurgiens qui posent une question similaire – si ce modèle est si bon, pourquoi n’a-t-il pas été mis en œuvre? –, je leur dis : « Faisons une expérience de pensée et fermons les yeux un instant. » Et nous sommes un groupe de 30 à 40 chirurgiens. Supposons un instant que nous souhaitions réellement mettre en œuvre un modèle à accès unique.

Nous ne voulons donc pas pratiquer de manière indépendante. Nous sommes 10 collègues et nous voulons partager une liste d’attente commune. Nous accepterons de voir le prochain patient de la liste. Nous répartirons également tous les patients et nous leur fournirons d’excellents soins. Imaginons que nous soyons convaincus que c’est important, que cela sera utile et que c’est ce que nous voulons faire. Combien de temps nous faudrait-il pour mettre cela en place nous-mêmes?

Et c’est une question rhétorique, car la réponse est qu’il ne nous faudrait pas beaucoup de temps. Ce n’est pas sorcier. Ce n’est même pas compliqué. C’est la différence entre avoir 10 télécopieurs pour 10 chirurgiens différents et avoir un télécopieur pour 10 chirurgiens différents et prendre toutes les télécopies et les distribuer une par une à tous les chirurgiens au fur et à mesure.

Avis Favaro

Votre père était obstétricien, et il s’agissait d’un seul médecin, d’un seul groupe de patientes, et les obstétriciens ont été capables de passer assez rapidement au modèle à accès unique. Ils sont donc un exemple en matière d’utilisation du modèle à accès unique.

Dr David Urbach

Les soins obstétricaux sont actuellement dispensés dans les hôpitaux canadiens de la manière suivante : les obstétriciens sont coordonnés en groupes, ils prennent un poste et travaillent 12 ou 24 heures d’affilée, ils pratiquent tous les accouchements et toutes les césariennes, et ils fournissent tous les soins obstétricaux. Les patientes arrivent dans une seule file d’attente. Vous n’avez donc pas à vous demander qui est l’obstétricien de cette patiente.

Ce n’est pas de cette façon que mon père a travaillé pendant toute sa carrière, principalement en tant qu’obstétricien, où il s’est toujours occupé de ses propres patientes de manière indépendante. Mais c’est ainsi que travaillent les obstétriciens, et ils ne reviendraient jamais à l’ancien modèle dans lequel mon père a travaillé pendant de nombreuses décennies, car ils reconnaissent que, tout d’abord, c’est très bien pour les patientes parce que leur obstétricien est toujours à l’hôpital. Et ensuite, ils n’ont pas à attendre pour appeler quelqu’un qui est chez lui à deux heures du matin pour qu’il vienne effectuer l’accouchement.

Avis Favaro

Et il n’y a pas de liste d’attente.

Dr David Urbach

Dans ce cas, en effet, il n’y a jamais de liste d’attente.

Avis Favaro

Il n’y a pas d’attente pour les bébés, non. C’est un exemple.

Y a-t-il des risques? Par exemple, que va-t-il se passer si nous adoptons le modèle à accès unique et que je n’aime pas le médecin qui me traite?

Dr David Urbach

Cela supprime une partie du choix individuel. Mais si vous construisez un système de santé performant, où les gens ont confiance dans les soins qu’ils vont recevoir, ils ne vont pas s’inquiéter de devoir choisir leur chirurgien.

Je vais vous donner un exemple. Lorsque les gens se rendent à la Mayo Clinic, à la Cleveland Clinic, au MD Anderson ou à tout autre centre de renommée mondiale aux États-Unis ou ailleurs, ils ne vont pas voir un chirurgien en particulier. Ils sont heureux de pouvoir consulter un médecin de la Mayo Clinic.

Ce que nous devrions faire dans notre système de santé, c’est nous assurer que nous pouvons fournir des soins d’excellente qualité à tout le monde, de sorte que les gens n’aient pas à se débrouiller seuls, à trouver le meilleur médecin, à s’assurer de ne pas avoir un mauvais médecin. Et nous faisons cela en nous assurant qu’il n’y a pas de mauvais médecins.

Avis Favaro

On vous a déjà cité lorsque vous disiez que le passage à une liste d’attente unique pourrait être une solution permanente au problème des listes d’attente, mais je n’entends aucun des gouvernements provinciaux en parler. Tout ce que j’entends en ce moment, ce sont des discussions sur les cliniques privées. Sommes-nous à la croisée des chemins?

Dr David Urbach

Nous sommes véritablement à la croisée des chemins. Je pense que la période actuelle est très risquée pour le système canadien d’assurance maladie et pour les principes de la Loi canadienne sur la santé. La raison pour laquelle il y a des temps d’attente est liée à l’offre et à la demande pour les interventions chirurgicales et la coordination, c’est-à-dire à la manière dont l’offre correspond à la demande.

La raison pour laquelle, je dirais, nous devons commencer par mettre en place la coordination et le modèle à accès unique est qu’alors, au moins, nous saurons combien de personnes il nous manque dans le système. Pour l’instant, nous avançons à l’aveuglette, car nous n’avons aucune idée des besoins de la population en raison de la fragmentation et du cloisonnement des soins. Mais une fois que nous aurons cette coordination, nous pourrons mieux évaluer les effectifs supplémentaires dont nous avons besoin.

Il existe de nombreuses façons d’augmenter les effectifs. Les gouvernements semblent surtout parler de la prestation des services et des différents types de modèles de soins, c’est-à-dire de la prestation dans des cliniques privées, à but lucratif, à l’extérieur du milieu hospitalier.

Avis Favaro

Mais ils essaient de résoudre le problème des listes d’attente.

Dr David Urbach

Je ne pense pas que quiconque puisse affirmer que c’est une mauvaise chose d’augmenter l’offre et de proposer davantage d’interventions chirurgicales. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

Avis Favaro

Il y a un « mais ».

Dr David Urbach

Oui. Nous ne sommes pas d’accord sur la bonne façon d’augmenter l’offre. Je pense que cela reflète en partie la vision du monde et l’idéologie des gens, et certains croient que le marché ou le secteur privé a un rôle à jouer dans les soins de santé. Si vous pensez que cela va nuire à notre capacité à fournir des soins à tout le monde dans un système public, vous allez penser que ce n’est pas une bonne chose.

Ce que je dirais, c’est qu’il est faux de croire que la seule façon d’y parvenir est d’introduire de nouveaux modèles de prestation, comme les cliniques privées à but lucratif. Il n’y a absolument aucune raison de ne pas augmenter l’offre en chirurgie dans les hôpitaux publics canadiens en les finançant et en les dotant d’un personnel adéquat.

Avis Favaro

Combien de vos collègues pensent la même chose?

Dr David Urbach

Je ne suis pas le seul à penser ainsi. Je pense que les personnes qui ont étudié les systèmes de santé et qui sont très préoccupées par les principes du système canadien d’assurance maladie soutiendront que les modèles de soins privés à but lucratif exacerberont toujours les problèmes d’un système de santé.

Et s’ils disent cela, c’est parce que c’est ce que montrent les études internationales où les gouvernements ont introduit davantage de types de prestations privées de soins ou de paiements privés de soins dans les systèmes hybrides.

Ainsi, chaque fois que cela se produit, chaque fois qu’il y a une augmentation des paiements privés ou chaque fois qu’il y a une augmentation des prestations privées à but lucratif, le système public en subit toujours les conséquences. Et les temps d’attente dans le système public augmentent toujours parce que les ressources sont drainées du système public vers le secteur privé, qui attire les gens. Il attire les médecins. Il attire le personnel. Il draine les ressources. Et c’est fondamentalement la raison pour laquelle les temps d’attente augmentent.

Avis Favaro

Maintenant que nous disposons de données sur le nombre d’interventions chirurgicales retardées, et que l’ICIS va continuer à les recueillir, qu’allez-vous surveiller dans les mois à venir?

Dr David Urbach

Je pense que nous devons continuer à suivre l’évolution des temps d’attente, car tant que le public aura l’impression que les gens attendent trop longtemps pour se faire opérer, les gouvernements seront poussés à faire quelque chose.

Et c’est navrant, mais la chose la plus facile à faire pour les gouvernements est d’essayer de promouvoir un nouveau modèle public de prestation, en promettant que cela contribuera à résoudre le problème.

Sur la planète Terre, il n’existe aucun pays où la population est entièrement satisfaite de son système de santé. Le mécontentement est donc omniprésent – en Europe, en Australie, aux États-Unis, c’est certain. Aucun pays n’a réglé ce problème. Nous n’avons pas résolu le problème. Nous travaillons tous en marge du problème du mieux que nous pouvons.

Mais ceux d’entre nous qui travaillent dans les hôpitaux font ce qu’ils peuvent pour améliorer les choses autant que possible pour les gens et essaient d’en faire autant que possible dans les limites du système existant, sans essayer de le fractionner ou de créer une structure parallèle.

Avis Favaro

Avez-vous le sentiment que le pendule penche vers une résolution rapide du problème des listes d’attente par les services privés?

Dr David Urbach

Je suis très inquiet en ce moment parce que je n’ai jamais vu d’initiatives aussi audacieuses qui se tournent explicitement vers les marchés privés pour fournir des services qui sont traditionnellement fournis dans les hôpitaux publics au Canada.

Je pense que beaucoup de provinces se sentent pressées en ce moment. Je pense qu’elles considèrent que l’arriéré, les temps d’attente et l’inquiétude du public font partie de leur mandat. Et ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’elles ne proposent pas de solution de rechange qui peut réellement fonctionner au sein du système et le renforcer.

Avis Favaro

Je tiens à vous remercier. Notre discussion relève du parcours du combattant : nous avons parlé de ce qui semble être des listes d’attente, lesquelles sont un grave problème pour les patients, puis nous avons compris qu’il s’agissait en fait d’un problème d’une autre nature et peut-être même d’une occasion, selon le point de vue que l’on adopte à cet égard.

Merci beaucoup d’avoir été des nôtres, Dr Urbach.

Dr David Urbach

À toutes et à tous, merci.

Avis Favaro

Le Dr Urbach admet que les listes d’attente à accès unique ne sont qu’une solution parmi d’autres aux problèmes de santé essentiels. Les études montrent que moins les patients souffrant d’une incapacité ou de douleurs attendent une intervention chirurgicale, mieux ils se rétablissent et plus les coûts globaux des soins de santé sont bas. C’est la formule pour y parvenir qui fait aujourd’hui l’objet d’un examen minutieux.

Merci d’avoir participé à notre discussion. Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein. Un grand merci à Ieashia Minott et à Alya Niang, qui anime notre balado en français.

Si vous voulez en savoir plus sur les dernières données diffusées par l’Institut canadien d’information sur la santé, rendez-vous sur icis.ca, i-c-i-s point c-a, et abonnez-vous à notre balado sur la plateforme de votre choix.

Ici Avis Favaro. À la prochaine!

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