Soins de santé dans les régions rurales et éloignées du Canada — Dre Katharine Smart

Katherine Smart

43 min | Publié le 10 janvier 2022

Le système de santé universel est une grande fierté des Canadiens, mais des facteurs comme la géographie et les déterminants sociaux de la santé signifient malheureusement que les citoyens vivant en région rurale ou éloignée n’ont souvent pas le même accès aux soins de santé que ceux vivant en région urbaine. Nous discutons avec la Dre Katharine Smart, pédiatre pratiquant au Yukon et présidente de l’Association médicale canadienne, pour en apprendre davantage sur les défis et les occasions liés aux soins de santé dispensés et obtenus en région rurale et éloignée au Canada.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Alex Maheux

Bonjour, bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Je suis votre animatrice, Alex Maheux.

Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des patients et des experts qualifiés. Joignez-vous à moi alors que j’analyse les données pour en savoir plus sur le travail qui est fait pour nous garder tous en bonne santé.

Lorsque nous nous imaginons la vie d’un médecin, certains d’entre nous se représentent un service d’urgence très occupé au cœur d’une grande ville. Toutefois, ce n’est pas la réalité pour un grand nombre de médecins des régions rurales dont l’expérience est très différente.

Aujourd’hui, nous entendrons la Dre Katharine Smart, pédiatre à Whitehorse, au Yukon, et nouvelle présidente de l’Association médicale canadienne, ou AMC. Elle nous explique ce que c’est que de fournir des soins dans les collectivités en région éloignée et de créer des occasions de rendre les soins de santé plus équitables.

Katharine, bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. C’est un plaisir de vous avoir ici aujourd’hui.

Dre Katharine Smart

Merci de me recevoir.

Alex Maheux

Tout d’abord, je tiens à vous féliciter chaleureusement pour votre récente nomination en tant que 154e, je crois, présidente de l’AMC. Vous arrivez à ce poste avec une perspective et une position assez uniques. Vous êtes pédiatre et vous avez une expertise dans les collectivités rurales. Quelles sont vos principales priorités pour la prochaine année?

Dre Katharine Smart

Comme vous l’avez dit, c’est certainement une période intéressante pour occuper un poste de direction en médecine, au milieu d’une pandémie et d’une crise des ressources humaines en santé. Donc, étant donné que je viens du Nord où nous avons des problèmes depuis longtemps, c’est vraiment intéressant.

Donc, ma première priorité est de faire entendre la voix des professionnels de la santé afin que les Canadiens puissent vraiment comprendre les défis auxquels le personnel de santé est actuellement confronté et la nécessité de repenser la santé et les systèmes de santé dans ce pays. Et cette priorité s’aligne vraiment sur le travail de l’AMC et sur notre stratégie, Retombées 2040, qui vise à envisager de nouvelles façons de faire en matière de santé, de système de santé et de personnel de santé. C’est une priorité très importante pour moi.

Ma deuxième priorité est de nous aider à traverser la pandémie qui, je l’espère, se terminera bientôt. En tant que pédiatres, nous espérons bien sûr voir arriver davantage de vaccins pour les enfants. Je pense donc qu’éduquer le public, encourager la confiance dans la vaccination et encourager les gens à continuer à utiliser les stratégies de santé publique pour protéger le plus grand nombre de personnes possible et essayer de mettre un terme à cette pandémie, c’est aussi, je pense, une priorité absolue pour moi et pour l’AMC en ce moment.

Alex Maheux

Eh bien, je pense que vous ne manquerez pas de travail pour les prochaines années.

Prenons un peu de recul. Vous avez passé la majeure partie de votre carrière à fournir des soins en régions rurales et éloignées. Pourquoi les collectivités rurales vous ont-elles attirée?

Dre Katharine Smart

Eh bien, j’ai eu la chance de travailler dans les collectivités rurales et éloignées, ce qui fait que j’ai toujours eu un pied dans ce secteur, mais j’ai aussi eu l’occasion de travailler dans des hôpitaux tertiaires, à l’Hôpital pour enfants de l’Alberta. J’ai donc l’impression d’avoir une perspective unique en tant que personne qui a fait les deux.

Tout a commencé quand j’étais interne en pédiatrie. J’ai eu l’occasion de passer un mois au Nunavut en tant que résidente en pédiatrie. C’était avant qu’il y ait des pédiatres sur le territoire du Nunavut. J’y suis donc restée un mois au cours duquel j’ai travaillé avec des médecins de famille pour soigner les enfants. C’était une première immersion dans la pédiatrie et la médecine dans le nord du Canada, et cela a vraiment éveillé mon intérêt pour ce type de soins de santé.

J’ai ensuite travaillé comme pédiatre généraliste dans le Nord du Manitoba. Et même lorsque je travaillais comme médecin urgentiste à l’Hôpital pour enfants de Calgary, j’ai continué à faire des remplacements dans le Nord du Manitoba parce que j’aimais vraiment ce type de pratique. Et cela m’a amenée ici, au Yukon, où je travaille à temps plein en pédiatrie en région rurale depuis quatre ans.

Alex Maheux

Vous dites que vous retourniez travailler dans le Nord parce que vous aimiez vraiment ça. Qu’est-ce que vous aimez le plus dans le fait de travailler dans les collectivités en régions rurales et éloignées?

Dre Katharine Smart

Ce que j’aime le plus, c’est d’apprendre à connaître la collectivité et d’établir un partenariat avec elle. Lorsque vous vivez dans une petite collectivité, comme moi qui vis au Yukon, il est beaucoup plus facile de connaître les gens et de comprendre qui fait quoi dans la collectivité et où vous pouvez avoir une certaine influence. Alors, il est plus facile d’établir des partenariats ou de changer des choses lorsque vous pouvez vous appuyer sur des gens. Je pense qu’il est plus facile de trouver ces personnes, d’apprendre à les connaître et de créer des synergies. C’est ce sur quoi je me suis naturellement concentrée depuis que je suis au Yukon. C’est ce que j’ai aimé des autres endroits où je suis allée. Les relations se développent plus rapidement dans les petites collectivités.

Une autre chose que j’aime beaucoup, c’est le défi que cela représente. Dans les régions rurales et éloignées, les ressources sont bien sûr très différentes. Alors, en tant que médecin, vous devez être prêt et être capable d’utiliser toutes vos compétences parce qu’il n’y a pas autant de personnel que dans un grand hôpital. Donc, il faut travailler en équipe et c’est ce que j’aime.

Ici, à Whitehorse, lorsqu’un enfant est malade ou qu’un cas complexe se présente, tous les médecins vont se serrer les coudes et s’entraider pour fournir les soins dont la personne a besoin. J’aime vraiment cet aspect et le défi que cela représente.

De plus, les médecins doivent accomplir une foule de tâches, et c’est cette variété qui est intéressante. Une grande part des patients que je vois en consultation externe ont des problèmes de santé mentale. Je travaille beaucoup avec des enfants qui ont subi des mauvais traitements, donc je traite beaucoup de problèmes de santé mentale. Mais je m’occupe aussi de bébés et d’enfants très malades, qui doivent être hospitalisés, qui doivent être réanimés, ce genre de choses. Ces cas se présentent souvent après les heures normales de travail ou durant la nuit. Ils font appel à une combinaison très intéressante de compétences et de possibilités de servir la collectivité.

Alex Maheux

C’est incroyable de voir une telle collaboration, même dans des régions éloignées.
Et comme vous l’avez dit, il n’est pas possible de traiter tous les cas dans les contextes où on ne dispose pas d’un accès à la bonne technologie ou aux bons outils, et il faut parfois prendre l’avion pour obtenir le niveau de soins approprié. J’aimerais que vous nous racontiez une situation assez extraordinaire où vous avez vous-même aidé à transférer un enfant vers un autre centre. Qu’est-il arrivé?

Dre Katharine Smart

C’était une expérience très intéressante. Vous avez tout à fait raison. Lorsque des enfants ou des bébés nécessitent des soins intensifs, ils doivent être évacués par avion-ambulance ou transférés vers un autre centre, généralement l’hôpital pour enfants de Vancouver et parfois l’hôpital pour enfants d’Edmonton.

Il s’agit là d’un autre défi auquel nous sommes confrontés depuis longtemps dans les centres ruraux. Les gens ne réalisent pas toujours à quel point il peut être difficile d’avoir une équipe pour transférer un patient. Comme vous pouvez l’imaginer, les équipes spécialisées qui viennent aider à soigner les enfants et les bébés gravement malades constituent une ressource limitée. Dans un territoire comme le Yukon, ce sont des équipes d’autres centres qui doivent venir chercher nos patients, et parfois, elles ne sont pas disponibles au moment voulu. Nous pouvons attendre longtemps qu’elles viennent ici pour déplacer nos patients.

J’ai vécu une expérience unique avec une petite fille très, très malade dont l’état s’est détérioré sous mes yeux en quelques heures. Plusieurs de ses organes étaient défaillants, et il était clair qu’elle ne survivrait pas si elle n’était pas admise dans une unité de soins intensifs où elle pourrait subir les différentes interventions dont elle avait besoin pour inverser le cours des choses. Nous avions fait tout ce que nous étions capables de faire sur place, mais les soins dont elle avait besoin — dialyse, assistance respiratoire — n’étaient pas disponibles ici.

C’était une situation très difficile parce que les équipes que nous essayions de faire venir pour la récupérer n’étaient pas disponibles. Nous nous sommes donc entretenus avec les médecins des unités de soins intensifs de Vancouver et d’Edmonton. Ils ont tous deux convenu que cette enfant était gravement malade et devait être déplacée immédiatement, mais les deux groupes n’avaient pas d’équipe disponible. Il y a eu de nombreux échanges entre les deux centres — l’équipe arrive; non, l’équipe ne peut pas venir; l’équipe arrive; l’équipe ne peut pas venir. Et ces échanges ont eu lieu pendant plusieurs heures au beau milieu de la nuit. Vers 3 heures du matin, il était évident que personne ne viendrait avant le lendemain. Donc, ça voulait dire que l’enfant n’arriverait pas à destination avant au moins 12 heures, et il était clair pour moi qu’elle ne serait plus en vie à ce moment-là.

Les médecins de l’unité de soins intensifs à qui je parlais étaient d’accord avec moi, mais ils n’avaient pas de solution parce qu’ils n’avaient pas d’équipe disponible. Je ne pouvais tout simplement pas accepter que cette enfant meure parce que je ne pouvais pas lui fournir les soins dont elle avait besoin.

À cette époque, au Yukon, notre équipe d’évacuation médicale d’urgence, qui effectuait beaucoup d’évacuations à l’intérieur du territoire et qui déplaçait des patients vers la Colombie-Britannique et l’Alberta, n’effectuait aucune évacuation pour des enfants. Ils n’avaient pas d’équipement pédiatrique et ils n’étaient pas formés dans ce domaine, donc il y avait une sorte de règle selon laquelle ils n’étaient pas autorisés à prendre des enfants.

Il s’agissait d’une situation extrêmement grave. J’ai donc consulté l’ambulancier paramédical qui était de garde cette nuit-là. Je lui ai demandé de venir à l’hôpital, nous nous sommes assis à 3 heures du matin et je lui ai expliqué la situation. Je lui ai dit : « Cette enfant ne survivra pas si nous ne l’emmenons pas à Vancouver maintenant. Le temps presse. Nous devons y aller. » L’ambulancier était dans une situation très difficile parce qu’il était le seul secouriste de garde cette nuit-là pour les évacuations médicales d’urgence. Il devait y en avoir deux. Il n’était donc pas censé prendre qui que ce soit, et il s’agissait d’un enfant.

Mais comme il était lui-même parent, et nous en avons parlé, il m’a répondu : « OK, je te fais confiance, s’il le faut, faisons-le. » Nous avons donc emmené l’enfant et ses deux parents, en plus d’une boîte géante remplie de médicaments. J’avais demandé aux infirmières de l’urgence de rassembler tous les produits possibles et imaginables pour que l’enfant reste stable pendant le vol, et nous sommes montés dans l’avion pour l’emmener à Vancouver.

Et heureusement, nous avons pu lui faire une transfusion sanguine en route. Cela a aidé à la stabiliser un peu plus, et elle est demeurée assez stable pendant le vol. Nous l’avons emmenée là-bas, et quelques heures plus tard, elle était placée sous assistance respiratoire, elle subissait une dialyse, etc. Elle a été l’enfant la plus malade de leur unité de soins intensifs pendant presque six semaines, mais elle a survécu. Je suis heureuse de dire que ce mois-ci, elle a eu son dernier traitement de chimiothérapie et elle a guéri de son cancer. Elle est en forme et se porte incroyablement bien.

C’était un de ces moments où, en tant que médecin en région rurale, je me suis dit « wow, nous avons toutes ces choses, mais elles ne sont pas toujours disponibles quand nous en avons besoin. » En médecine, nous devons agir rapidement dans certaines situations et dans ce cas précis, je n’étais vraiment pas prête à accepter que le facteur temps nous empêche de sauver cette enfant. Et heureusement, nous avons réussi à la sauver.

Ce qui est positif, c’est que ce cas a en quelque sorte motivé les gens du territoire à devenir plus proactifs en matière d’évacuation médicale d’urgence pédiatrique. Nous disposons donc maintenant de tout l’équipement nécessaire pour assurer l’évacuation médicale d’urgence des enfants et des nourrissons. Nous avons formé sur place nos ambulanciers paramédicaux en soins pédiatriques et néonataux. Nous sommes donc beaucoup mieux préparés pour intervenir dans ce type de cas à l’avenir. Nous pourrons également fournir des soins de meilleure qualité à notre propre population lorsqu’il n’est pas possible de les obtenir à d’autres endroits au pays.

Je suis donc très heureuse que cet événement se soit produit. Étant donné que les ressources sont de plus en plus limitées dans les grands centres, il devient de plus en plus difficile pour nous d’accéder à ces services pour nos patients, et nous devons être en mesure d’en faire plus nous-mêmes.

Alex Maheux

C’est une histoire incroyable qui se termine très bien. Et je pense aussi qu’une des choses les plus importantes dans toute cette histoire est que vous avez pu mettre en place de meilleures ressources pour l’avenir.

Mais j’aimerais savoir une chose. Je pense que ce genre d’histoire illustre bien l’incidence que de meilleures ressources auraient sur les résultats en matière de santé pour les personnes vivant dans des collectivités rurales. Est-ce que vous, dans le cadre de votre nouveau rôle, ou l’AMC réfléchissez aux modèles de soins dans les collectivités rurales? Et peut-être aussi à une stratégie plus pancanadienne?

Dre Katharine Smart

Oui, absolument. Comme je le disais tout à l’heure, lorsque nous examinons les soins de santé à l’AMC, nous le faisons à travers trois lentilles : 1) la santé, ce qu’est la santé, comment nous la définissons, comment nous la créons; 2) le système de santé, ce que vous demandez, à quoi il ressemble, comment il pourrait mieux fonctionner; et 3) les professionnels de la santé, comment créer des dispensateurs de soins de santé qui s’épanouissent dans leur travail.

Et il ne fait aucun doute qu’il faut repenser le système de santé pour fournir de meilleurs soins aux personnes dans les régions rurales. Nous devons faire preuve d’innovation, avoir de nouvelles idées sur la manière de servir les gens, mais nous devons aussi mieux planifier les ressources humaines en matière de santé. Dans certains cas, comme celui de l’enfant dont je viens de vous parler, il suffit d’avoir la bonne personne au bon moment et avec les bonnes compétences pour être en mesure d’offrir des soins aux patients. Cela représente tout un défi dans un milieu rural. Et c’est un exemple de cas très grave.

Dans la gestion quotidienne des soins aux personnes, il y a beaucoup de façons différentes de faire preuve d’innovation pour que les gens reçoivent les soins dont ils ont besoin. Et ce qui est intéressant, c’est que nous devenons de plus en plus à l’aise d’offrir des soins virtuels, ce qui, je pense, permettrait aux patients des régions rurales d’accéder à des soins spécialisés auxquels ils n’ont peut-être pas eu accès dans le passé, à moins de se déplacer, ce qui est un énorme obstacle.

Je pense donc qu’il y a beaucoup d’occasions de repenser le système de santé, et je pense qu’il s’agit d’une grande priorité. Parce qu’en ce moment, il est évident que le système ne fonctionne pas. Nous avons un système archaïque qui a été développé dans les années 50, qui a peut-être fonctionné à l’époque, mais qui ne fonctionne plus aujourd’hui, et qui ne fonctionne vraiment pour personne, n’est-ce pas? Il ne fonctionne pas vraiment pour les patients. Tant de gens n’ont pas accès à des soins. Nous savons que près de 5 millions de Canadiens n’ont pas accès aux soins primaires.

La situation est bien pire dans les régions rurales parce qu’il est plus difficile de recruter et de retenir des médecins, en partie parce que la charge de travail dans ces régions est énorme. Au cours de mes deux premières années ici, j’étais la seule pédiatre de tout le territoire. Cette histoire que je vous ai racontée à propos de cette petite fille s’est déroulée durant ma journée de congé, la première depuis un mois. Donc, quand vous êtes dans ces endroits et que vous êtes essentiellement seul, bien sûr, vous allez intervenir quand les gens ont besoin de vous, mais ce n’est pas une solution viable à long terme.

Maintenant, heureusement, nous avons trois médecins à plein temps ici pour la pédiatrie et c’est beaucoup plus raisonnable. Mais comme vous l’imaginez, comment pouvons-nous recruter et retenir des dispensateurs de soins de santé dans de telles conditions, où la conciliation travail-vie personnelle ressemble à ça? C’est un véritable défi. Alors comment pouvons-nous repenser cet aspect? Et ensuite, comment pouvons-nous tirer parti de la technologie pour faire une partie de ce travail pour nous et pour fournir davantage de ce soutien quotidien dont certaines personnes ont besoin? Et je pense que nous devons être plus créatifs, car il est évident qu’il faut changer les choses.

Alex Maheux

Vous avez abordé un certain nombre de sujets dont j’espérais pouvoir vous parler.

Commençons par les professionnels de la santé. Il est évident que la COVID-19 a joué un rôle dans ce domaine. Toutefois, un de nos collègues de l’ICIS a tenu une séance d’engagement des intervenants au cours de laquelle il a été noté que dans certaines collectivités rurales, le taux de postes vacants pour le personnel de santé était aussi élevé que 70 %. Qu’est-ce que vous entendez et voyez à ce sujet et comment pouvons-nous aider à résoudre ce problème?

Dre Katharine Smart

Oui. Il s’agit d’un gros problème. Et puis, comme vous pouvez l’imaginer dans ces contextes et comme vous l’avez décrit, lorsqu’il n’y a pas assez de gens, deux problèmes se posent. Premièrement, il n’y a pas assez de personnes, et la charge de travail des personnes qui sont là augmente, donc retenir ces personnes devient très problématique. Ainsi, dans le cadre de la formation médicale continue, cette question des ressources humaines en santé est une énorme priorité. Nous demandons au gouvernement fédéral de s’impliquer davantage dans la planification des ressources humaines en santé.

Deuxièmement, l’un des grands problèmes que nous avons dans ce pays, qui est d’une certaine manière un peu difficile à croire, c’est qu’il n’y a pas de planification des ressources humaines de la santé à l’échelle pancanadienne. Nous n’avons pas de données à ce sujet. Elles ne sont pas collectées. Nous pouvons donc regarder qui publie des annonces pour des postes, quels postes sont pourvus, quels postes ne le sont pas, mais il n’y a pas vraiment de plan qui dise que nous avons besoin de tel nombre de médecins à tel endroit, de tel type de médecins, de tel nombre d’infirmières praticiennes, de tel nombre d’infirmières, de travailleurs sociaux, etc. pour vraiment comprendre comment fournir des soins intégrés en équipe à l’échelle du pays de manière durable.

Il est donc difficile de planifier quelque chose quand on ne sait pas vraiment ce que l’on planifie. Je pense donc que ce que nous avons actuellement, c’est une approche un peu hétéroclite où chaque endroit essaie de déterminer ce dont il a besoin, de publier des annonces et de pourvoir ces postes. Mais sans véritable plan, il est difficile de savoir combien de personnes nous formons, s’il s’agit du bon nombre de personnes, si nous recrutons des personnes dans les bonnes régions du pays, si nous les formons et si nous les retenons là où elles se trouvent. Il s’agit, là encore, d’un problème énorme.

Dans le Nord, je pense que vous avez beaucoup plus de chances de retenir les gens qui sont d’ici. Et si vous regardez même au Yukon, les médecins de famille qui ont été recrutés et retenus depuis que je suis ici, ce sont en grande partie des Yukonnais qui sont partis, qui ont été formés comme médecins et qui sont revenus chez eux. Il sera plus difficile de convaincre un habitant du centre-ville de Toronto qui y a grandi de venir vivre à Whitehorse, Yellowknife ou Iqaluit.

Je pense donc que nous avons également besoin de plus de diversité dans notre profession. Et cela, encore une fois, est lié à la planification des ressources humaines de la santé, à savoir ce que nous faisons pour aborder et comprendre ce problème. Donc je pense que c’est vraiment la prochaine étape.

Ce qui est également intéressant, c’est que nous avons récemment tenu un sommet d’urgence à l’AMC auquel ont pris part plus de 35 organisations nationales de professionnels de la santé, et toutes les personnes présentes ont dit la même chose. Elles ont toutes affirmé qu’il n’existait pas, à leurs yeux, de plan de ressources humaines de la santé pour leur domaine. Il s’agit donc d’une vaste question. Je pense que c’est l’occasion pour le gouvernement fédéral de faire preuve de leadership, d’aller de l’avant et de fournir ces données en partenariat avec les provinces afin que nous puissions aller de l’avant et mettre en œuvre des solutions.

Alex Maheux

J’ai entendu dire que, quand vous avez vu une collectivité rurale, vous n’en avez vu qu’une seule, car elles sont toutes différentes. Dans quelle mesure cela rend-il difficile l’élaboration d’un plan, comme un plan pancanadien, lorsque les collectivités sont si différentes les unes des autres?

Dre Katharine Smart

Je pense que c’est une très bonne observation. Et je le constate certainement même ici, au Yukon, car j’ai l’occasion de faire du travail de proximité auprès de diverses collectivités rurales. Et c’est vrai, elles sont toutes différentes. Mais je pense qu’elles ont en commun certains éléments fondamentaux en matière de nombre et de types de dispensateurs. Ensuite, ce qui est différent, c’est qu’il faut choisir des dispensateurs qui sont prêts à établir des relations avec la collectivité pour trouver des solutions de soins de santé qui répondent à leurs besoins de manière unique dans ces domaines.

Par exemple, en tant que médecin, je peux me rendre dans différentes collectivités, interagir avec elles et leur demander comment elles aimeraient que nous travaillions ensemble pour leur offrir des soins de santé. Je peux donc m’adapter et modifier ma façon de travailler en fonction de ce qui fonctionne pour eux. Je pense donc qu’il y a beaucoup d’occasions d’agir ainsi.

Mais encore une fois, un élément important est cette relation longitudinale. Vous pouvez fournir ce type de soins aux membres d’une collectivité et personnaliser ces soins uniquement si vous apprenez à connaître cette collectivité, et c’est beaucoup plus difficile lorsque vous n’y habitez pas. Je pense que c’est ce qui a été très difficile : beaucoup de régions rurales dépendent fortement de suppléants ou de médecins qui vont et viennent dans ces collectivités. Et même si ces suppléants peuvent soulager à court terme les dispensateurs de soins de longue durée dans ces collectivités, je ne pense pas qu’ils puissent offrir le niveau de soins personnalisés qu’offrent les personnes qui vivent et travaillent dans ces endroits.

Alex Maheux

Absolument. J’aimerais parler un peu plus des soins virtuels. Les dispensateurs de soins de santé ont déclaré que la COVID-19 avait, d’une certaine manière, contribué à les faire progresser de 10 à 15 ans. Et comme vous l’avez dit, il y a certainement des avantages majeurs à introduire plus de soins virtuels dans les collectivités rurales. Mais j’imagine aussi qu’il y a des obstacles à cela. Comment les soins virtuels peuvent-ils jouer un rôle dans l’amélioration des soins dans les collectivités rurales?

Dre Katharine Smart

Je pense que les soins virtuels peuvent améliorer les choses dans les collectivités rurales à bien des égards. Il y a de nombreux avantages. En tant que dispensatrice dans une région rurale, je suis plus disponible pour mes patients à travers le territoire, car ils peuvent maintenant me rencontrer beaucoup plus facilement. Par exemple, s’ils sont à Old Crow et qu’un problème survient, nous pouvons prendre un rendez-vous virtuel et voir si nous pouvons régler le problème de cette manière, plutôt que de faire voyager le patient. Je pense donc que l’accessibilité aux dispensateurs qui sont là est énorme. Et surtout, encore une fois, à des endroits où les déplacements sont longs et coûteux. Parfois, ils sont nécessaires, mais souvent, ils ne le sont pas. C’est donc une occasion de vous rendre plus disponible pour vos patients.

Ensuite, les soins virtuels peuvent aider à retenir les travailleurs de la santé. En effet, il faut que ces derniers aiment leur travail, se sentent épanouis et aient le sentiment de faire du bon travail. Et pour y parvenir en médecine rurale, ils doivent se sentir soutenus. Vous ne pouvez pas être un expert en tout. Vous devez donc pouvoir faire appel à d’autres médecins pour soigner vos patients dans les domaines où vous avez besoin d’aide.

Cela permet d’atteindre deux objectifs. D’une part, cela permet de s’assurer que vos patients reçoivent les soins dont ils ont besoin, mais bien sûr, cela vous donne aussi l’occasion d’améliorer vos propres compétences. Alors comment les soins virtuels peuvent-ils y contribuer? Pour ma part, c’est de pouvoir amener certaines de ces personnes dans la salle d’examen avec moi, comme je l’ai déjà mentionné. J’ai découvert que c’était très puissant. Par exemple, nous avons une clinique d’approche sur le diabète. Un endocrinologue de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique voit les enfants du Yukon atteints de diabète de type 1. En raison de la pandémie de COVID-19, ils ne peuvent pas venir en personne. Alors, nous tenons les rencontres sur Zoom. Mais je peux toujours participer à tous ces rendez-vous. J’en apprends donc beaucoup sur le diabète de type 1 en même temps que mes patients bénéficient des soins de cet expert. Et je suis là, avec cette perspective locale pour dire « oh, nous pourrions faire ceci pour cet enfant; oh, il a aussi un problème de santé mentale, laissez-moi le faire revenir pour que nous puissions le traiter. »

Ainsi, les soins deviennent soudainement beaucoup plus globaux lorsque nous travaillons en équipe. Et c’est amusant pour moi parce que j’apprends quelque chose et je me sens soutenue. C’est formidable pour le patient, car toutes les personnes impliquées dans son cercle de soins collaborent, et nous apprenons tous ensemble, en quelque sorte. Je pense donc qu’il y a d’énormes possibilités là aussi.

Et puis, je pense que lorsque vous regardez également la formation médicale continue, c’est encore un autre défi de la pratique en région rurale. Comment mettez-vous vos connaissances à jour? Quand vous êtes dans un grand hôpital tertiaire, il y a des tournées de patients, des présentations, des tonnes d’occasions. Et c’est en partie ce qui fait que vous aimez votre travail. Les gens se lancent dans la médecine parce qu’ils apprennent tout au long de leur vie. Cela peut être plus difficile dans une région rurale. Eh bien, soudainement, ces occasions sont soudainement passées en mode virtuel. Je peux maintenant participer à des visites de patients à Calgary, Vancouver ou Toronto et apprendre de ces spécialistes, ce qui me donne l’impression d’être mieux préparée à soigner mes patients ici, de garder mes connaissances à jour, même si je vis dans une petite collectivité et que je n’ai pas beaucoup de collègues. Et vous commencez à sentir que vous n’êtes pas seul. Vous êtes connecté à des collègues.

Donc, je le vois à tous ces niveaux. Et je pense que pour retenir les gens dans leur travail, il faut qu’ils trouvent de la joie dans ce qu’ils font et un but.

Alex Maheux

Vous parlez de fournir des outils et un soutien supplémentaire. Évidemment, à l’ICIS, nous nous concentrons sur la collecte et l’analyse de données afin de faciliter la prise de décisions pour les dispensateurs de soins, les décideurs, les provinces et les territoires. Où voyez-vous des possibilités d’améliorer l’exhaustivité et la disponibilité des données pour soutenir la prise de décision en matière de santé dans les collectivités rurales?

Dre Katharine Smart

C’est une bonne question. Je pense qu’il est très intéressant en ce moment de voir que nous allons de l’avant en misant sur les dossiers médicaux électroniques basés sur des systèmes. Davantage de provinces et de territoires essaient d’avoir un seul système pour centraliser les données et ensuite permettre à des groupes comme l’ICIS de recueillir et d’exploiter ces données. J’espère que nous nous retrouverons un jour dans une situation où les données seront générées en temps réel et transmises aux cliniciens pour qu’ils puissent voir ce qu’ils font : tableaux de bord, rétroaction sur votre propre pratique, vos résultats, comment ce que vous faites se situe par rapport à ce que font d’autres personnes, où vous en êtes en ce qui a trait aux lignes directrices et au traitement des maladies chroniques de vos patients, atteinte des objectifs.

Et je pense qu’au fur et à mesure que ces données deviennent plus largement disponibles, qu’elles sont regroupées en un seul endroit, que les données que nous recueillons dans notre travail quotidien commencent à pouvoir alimenter certains de ces systèmes, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas obtenir certaines de ces données en temps réel pour améliorer la qualité de nos soins et pour nous donner un retour sur ce que nous faisons.

Car il s’agit là d’un autre défi majeur en médecine, celui de la responsabilité et de la qualité, et des systèmes mis en place pour garantir ces éléments. Et sans données, c’est très difficile de le faire. Et je pense que l’évolution des dossiers médicaux électroniques offre de nombreuses possibilités de disposer de ce type de données et de les mettre à la disposition des gens en temps réel afin qu’ils puissent modifier leurs actions.

Alex Maheux

En effet. C’est incroyable. C’est le rêve.

De nos jours, il est difficile de mener une entrevue médicale sans mentionner la COVID-19. Selon vous, en quoi la COVID-19 a-t-elle affecté les collectivités rurales différemment des milieux urbains? J’imagine qu’il y a des choses qui sont peut-être plus faciles, d’autres qui sont un peu plus difficiles. Quels sont les différents défis que vous avez rencontrés dans les collectivités rurales?

Dre Katharine Smart

Oui, je crois qu’il y a eu de nombreux défis différents, et je pense qu’ils ont évolué et changé au fur et à mesure que la pandémie a évolué. Ici, au Yukon, nous avons été confinés au début de la pandémie de COVID-19, et nous avions des mesures de santé publique extrêmement strictes pendant très longtemps. Il y avait des directives strictes d’isolement si vous quittiez le territoire et reveniez, ce qui limitait vraiment les déplacements.

Je pense donc qu’à bien des égards, c’était un défi pour les gens, car si vous deviez sortir pour vous faire soigner, à votre retour, vous deviez vous isoler ou vous mettre en quarantaine pendant 14 jours. Ainsi, pour les familles qui devaient quitter le territoire pour recevoir des soins et qui avaient peut-être d’autres enfants, d’autres enfants à l’école, ce n’était pas facile de revenir et de devoir faire face à cela. Et pour certains enfants qui ont des problèmes de santé chroniques importants et qui doivent quitter régulièrement le territoire pour recevoir des soins, c’est un immense fardeau pendant de nombreux mois. Je pense donc que c’était difficile pour les gens.

Il a également été très difficile d’obtenir de l’aide, des suppléants, une couverture pour la pratique, en raison des différentes règles et limitations. La charge de travail des dispensateurs de soins de santé locaux était beaucoup plus élevée. Je pense donc que c’était un grand défi. Nous travaillons dans un environnement où les ressources sont très limitées, et je pense que le stress lié à la gestion de ces patients, sachant que nous avions des ressources limitées et qu’elles étaient débordées dans nos centres de référence traditionnels, a eu des répercussions sur notre capacité à soigner les patients et à les déplacer en cas de besoin. Donc, je pense que ce sont les premiers facteurs de stress.

Puis, quand les choses ont changé et que la situation s’est améliorée, c’était génial. Mais nous sommes maintenant confrontés à une autre éclosion massive de COVID-19 ici. Je pense que ce qui s’est passé, c’est que nous nous sommes éloignés des stratégies de santé publique parce que nous avions un taux de vaccination élevé. Et je pense que nous avons appris la même leçon qu’une grande partie du reste du pays, à savoir que personne n’a jamais dit qu’il ne fallait pas porter de masque et ne pas faire certaines choses, mais que c’était fortement recommandé.

Mais lorsqu’ils n’étaient plus obligatoires, le comportement des gens a changé. Et maintenant, nous sommes au milieu d’une énorme éclosion du variant Delta. Il se répand rapidement dans la collectivité. Il est de retour dans les écoles. Nos hôpitaux recommencent à être débordés cette semaine, à être à court d’oxygène, à prévoir quand ils pourront faire venir de l’oxygène, à déterminer combien de patients supplémentaires ils peuvent prendre en charge, si nous devons commencer à annuler des opérations chirurgicales, et ainsi de suite. Nous sommes donc de nouveau dans cette situation. Et encore une fois, dans une petite collectivité, il n’y a pas de soupape de sécurité. Le seul autre endroit où nous pouvons avoir des patients est éloigné et ils doivent prendre l’avion. Il n’est donc pas facile de déplacer les gens ou de s’adapter rapidement dans un petit milieu, ce qui est très stressant.

Plusieurs médecins ont eu la COVID-19 récemment, car nous avons tous été vaccinés très tôt en janvier. Nous commençons donc à voir un déclin probable de l’efficacité de ce vaccin en raison de la propagation communautaire accrue et du fait que beaucoup d’enfants attrapent la COVID-19. Nous voyons maintenant des parents, et certains d’entre eux sont des médecins. Mais encore une fois, il y a une incidence sur le personnel de santé. Dans notre petite équipe, 2 ou 3 sur 10 ont eu la COVID-19 et n’ont pas pu travailler pendant 14 jours. Heureusement, aucun d’entre eux n’a été malade parce qu’ils ont été vaccinés, donc c’est génial, mais ils n’ont pas pu travailler. Les répercussions sont donc énormes, et elles touchent toute la collectivité. Je pense donc que c’est un peu différent d’un centre plus grand où il y a un plus grand nombre de personnes.

Étant donné que le gouvernement a formulé des recommandations assez strictes, j’espère que nous pourrons reprendre le contrôle de la situation assez rapidement et que les gens pourront retrouver une vie normale. Mais la pandémie a été un peu des montagnes russes, je dirais, avec des hauts et des bas comme partout, mais certains de ces problèmes ont été propres au fait d’être dans un petit milieu avec les ressources limitées que nous avons.

Alex Maheux

Je peux imaginer à quel point c’est stressant pour vous en ce moment.

Je veux revenir en arrière et parler des changements climatiques. L’année dernière, nous avons été témoins de températures record vraiment dévastatrices, de feux de forêt, d’inondations, d’un manque d’accès à l’eau potable, tout cela en particulier dans le Nord et l’Ouest du Canada. Avez-vous déjà commencé à constater les répercussions des changements climatiques sur la santé des gens de votre collectivité? Est-ce qu’elles ont une incidence sur le type de soins que vous offrez? Et d’après ce que vous avez vu jusqu’à présent, comment pensez-vous que les changements climatiques auront une incidence sur les soins de santé au cours des prochaines années?

Dre Katharine Smart

Oui, ça ne fait aucun doute. Je ne pense pas que les changements climatiques seront l’une des plus grandes menaces pour la santé à l’avenir. Et certainement, ici, dans les régions arctiques et subarctiques, nous voyons les changements climatiques s’accélérer beaucoup plus que dans les régions plus au sud. Et c’est ce que nous entendons de la part de nos dirigeants des Premières Nations : ils constatent les répercussions des changements climatiques dans leurs collectivités, et la situation est très différente de ce qu’elle était il y a 20 ou 30 ans. Et nous en constatons les répercussions sur la faune, les poissons, et même simplement sur les logements et le sol et ce qui s’y passe, les dommages aux bâtiments. Et puis, bien sûr, nous constatons que l’été dernier, nous avons eu de nombreux incendies de forêt, qui ont des répercussions sur la santé humaine.

Je pense donc qu’ils vont toucher les gens à l’avenir de plusieurs façons. Je pense à l’anxiété et à la peur qui entourent les changements climatiques et à ce que cela signifie pour les modes de vie traditionnels, surtout en ce moment au Yukon, où les Premières Nations sont autonomes depuis longtemps. Ce sont des leaders incroyables. Je pense qu’ils sont vraiment en train de se réapproprier leur culture et de montrer la voie en matière de revendication de leur identité en tant que population autochtone et de ce que cela signifie. Je ne peux donc qu’imaginer, pour leurs collectivités, à quel point c’est effrayant lorsque, à proximité de cette renaissance, d’une certaine manière, ou de la revendication de ce que vous êtes, vous voyez aussi la terre qui fait partie intégrante de votre identité commencer à être menacée par les changements climatiques, et comment cela rejoint les traumatismes intergénérationnels, la santé mentale et toutes ces autres préoccupations.

Je pense donc que ce n’est qu’un aspect avec lequel les gens doivent composer, ce qui est assez effrayant pour l’avenir, à savoir comment aborder ce problème dans ces endroits. Je pense qu’il s’agit d’un grand défi que nous allons devoir relever pendant longtemps. Et cela m’inquiète certainement pour l’avenir de nos enfants, à quoi cet avenir va ressembler et quelles seront les implications pour la santé. Nous voyons la chaleur et la fumée, mais je pense que les répercussions se feront aussi durement sentir sur l’identité des gens et leur santé mentale.

Alex Maheux

Absolument. C’était en fait très perturbant à regarder.

Vous avez des soins et de la santé des autochtones dans les collectivités rurales. Je tiens à souligner que, parfois, ces termes — santé des Autochtones et santé rurale — sont utilisés à tort de manière interchangeable et pourraient être traités de la même manière. Quelle a été votre expérience dans votre collectivité? Et comment pouvons-nous collaborer et soutenir la santé des Autochtones, en particulier dans les régions rurales?

Dre Katharine Smart

Je pense qu’il s’agit de reconnaître que les Premières Nations ou les peuples autochtones savent précisément ce qu’ils veulent en matière de soins de santé et de quelle façon ils veulent recevoir ces soins. Il s’agit d’admettre qu’il y a des domaines dans lesquels nous avons échoué dans le passé. Il faut aussi définir les partenariats à envisager pour l’avenir afin d’offrir des soins culturellement sûrs et pertinents. Je peux donc probablement parler davantage de ma propre expérience, car je ne veux certainement pas parler pour tous ces groupes. Je pense, encore une fois, que nous savons qu’ils sont tous très différents. Comme nous le savons tous, il y a beaucoup de Premières Nations, de Métis et d’Inuits différents dans tout le pays, avec des cultures différentes, des expériences différentes et des voies d’avenir différentes.

Mais je peux certainement parler de ma propre expérience et de ce que j’ai appris ici, au Yukon. En pédiatrie, j’ai eu la chance de travailler en étroite collaboration avec le Conseil des Premières nations du Yukon, un groupe qui représente 12 des 14 Premières Nations du territoire. Et nous avons maintenant établi un partenariat assez global et une collaboration pour déterminer la façon de mieux offrir des soins aux enfants des Premières Nations sur le territoire.

Pour moi, cela s’est traduit par une tentative de partenariat pour définir ce que sont des soins de santé sûrs pour eux, et déterminer comment nous pouvons aller à la rencontre des enfants des Premières Nations et de leurs familles de manière à rendre nos soins pertinents, culturellement sûrs et accessibles.

C’est ce que nous faisons actuellement de plusieurs manières. L’une d’entre elles a été de se rendre dans la collectivité. Donc, dans le passé, lorsqu’il y avait très peu de pédiatrie ici, des pédiatres suppléants venaient ici pendant un certain temps. Les enfants qui voulaient des soins pédiatriques consultatifs devaient venir à Whitehorse. C’est donc un gros obstacle pour les soins, évidemment. Et vous n’avez pas non plus l’occasion de voir cet enfant dans sa propre collectivité ni de rencontrer sa famille élargie ou les adultes de sa vie qui pourraient être concernés par ce qui se passe. Donc même votre capacité à fournir des soins à un enfant avec ces informations limitées est assez limitée.

Maintenant que nous visitons régulièrement presque toutes les collectivités du Yukon, les trois pédiatres qui sont maintenant ici régulièrement, nous avons eu l’occasion d’aller dans les écoles, de rencontrer les aînés, de rencontrer certains des peuples des Premières Nations, d’apprendre à connaître beaucoup plus les collectivités et les familles. Je pense donc que nous sommes en mesure de fournir des soins beaucoup plus pertinents parce que nous avons ce cadre où se trouvent les gens et cette possibilité de les connaître, ainsi que les forces et les défis de leurs collectivités, et d’en tirer parti pour leurs soins. Donc c’est un élément.

L’autre élément est quelque chose que nous faisons ici à Whitehorse et qui, je pense, est assez unique, c’est-à-dire que nous fournissons des soins au centre culturel en partenariat avec le Conseil des Premières nations du Yukon, et ils organisent quelque chose qu’ils appellent des salons d’information sur la santé où ils font venir beaucoup de groupes différents qui fournissent des services aux enfants. Ainsi, le Child Development Centre, des orthophonistes, des ergothérapeutes, des aînés, le directeur de l’éducation des Premières Nations, des personnes du Principe de Jordan, tous se réunissent dans la maison longue du centre culturel et organisent une sorte de salon d’information où tous peuvent venir s’informer sur ces sujets.

Eh bien, simultanément, nous fournissons deux pédiatres qui voient chacun une liste d’enfants et leur famille que le Conseil des Premières nations du Yukon a ciblés comme étant des enfants à risque et qu’ils veulent que nous voyions. Mais c’est beaucoup plus informel, non? Ce n’est pas à notre bureau. C’est au centre culturel. Les gens peuvent y amener tout le soutien dont ils ont besoin. C’est l’occasion pour eux d’apprendre à nous connaître, et pour nous d’apprendre à les connaître et de cibler ensemble les priorités en matière de santé pour leurs enfants, et de commencer à planifier ces choses ensemble. Nous pouvons alors fournir des lettres de soutien au principe de Jordan au Conseil des Premières nations du Yukon afin que ces familles puissent obtenir les services dont elles ont besoin.

Parfois, cela signifie que nous sommes en mesure d’établir un lien avec l’école en ce qui concerne les besoins non satisfaits et de plaider pour ces choses ou de nous assurer que les choses se passent bien. Cela nous permet d’inviter certaines de ces familles qui ont besoin de soins pédiatriques continus dans notre cabinet pour leur dire : « Nous aimerions vous revoir. Seriez-vous à l’aise pour venir dans notre clinique? » Et parce que nous nous sommes rencontrés dans ce contexte, je pense que c’est moins intimidant, et souvent les gens sont plus à l’aise pour accepter de nous revoir.

À mon avis, c’est l’une des façons de décoloniser les soins de santé en les fournissant dans un cadre différent, en laissant les Premières Nations elles-mêmes décider de ce à quoi elles veulent ressembler, et en obtenant leurs commentaires sur ce qui s’est passé pour leurs citoyens, ce qui était confortable, ce qui ne l’était pas, quels types de questions les gens préféreraient peut-être que nous ne posions pas, comment nous pouvons obtenir certaines de ces informations plus personnelles au fil du temps, comment établir ces relations. Et en essayant de le faire d’une manière qui soit plus sensible à la culture.

Alex Maheux

Cette collaboration est extrêmement importante, et le fait d’apprendre à connaître les gens, je pense qu’en fin de compte, c’est très précieux pour tout établissement de soins de santé.
À votre avis, quelle est la plus grande idée fausse sur la santé en milieu rural au Canada?

Dre Katharine Smart

C’est une bonne question. Je pense qu’il y a probablement beaucoup d’idées fausses. Je pense que parfois c’est difficile. Les gens ne comprennent pas toujours quels sont les rôles des différentes personnes dans les soins de santé. Je commencerais par ça.

Les soins de santé sont une culture, comme tout le reste. Nous savons donc en quelque sorte comment cela est censé fonctionner ou ce que cela signifie, parce qu’il y a comme un langage et une façon de faire les choses, et les gens ne s’en rendent pas toujours compte. Je pense donc que le Canadien moyen ne se rend pas toujours compte de la différence entre un médecin en région rurale et un médecin en ville, et ne comprend pas vraiment ce que cela implique. Il se peut donc qu’ils ne se rendent pas vraiment compte, du point de vue de l’accès ou de l’étendue de la pratique, à quel point la situation est différente pour les patients qui cherchent à se faire soigner dans une région rurale et ce que les médecins de cette région doivent faire.

À titre d’exemple, comme ici, beaucoup de nos médecins de famille sont aussi des urgentistes, ils pratiquent l’anesthésie et l’obstétrique. Ce n’est pas typique dans une ville. Et je pense que le Canadien moyen ne se rend peut-être pas compte que les personnes vivant dans les régions rurales bénéficient de tous ces services très spécialisés de la part d’un médecin de famille. Je pense que cela peut parfois conduire à des perceptions erronées sur les personnes à consulter. Et je pense que c’est parfois un défi pour un médecin de famille lorsque les patients veulent toujours être dirigés vers un spécialiste. Parce que je pense qu’il y a parfois une perception selon laquelle un spécialiste en sait plus. Et cela peut être vrai dans certains contextes, mais dans beaucoup de contextes, le médecin de famille est très bien placé pour faire le travail.

Je pense donc que cette perception erronée peut parfois conduire à des demandes ou à des désirs de la part des patients qui ne sont pas vraiment nécessaires, ce qui peut parfois créer, malheureusement, un conflit ou un besoin d’expliquer les rôles dans le système. Il peut y avoir des perceptions de qui est capable de faire quoi et les gens ne réalisent pas toujours, je pense, à quel point nos dispensateurs ruraux sont incroyablement compétents et l’étendue de leur pratique.

Je pense que parfois les gens ne se rendent pas compte de la diversité des personnes qui vivent dans les collectivités rurales. Il peut y avoir des stéréotypes sur ce que sont les Canadiens des régions rurales par rapport à ceux des villes. Et les gens ici, je pense, sont incroyablement bien informés. Ils ont toutes sortes de compétences et d’expériences. Et c’est vraiment étonnant, la diversité de la collectivité ici, le type de personnes qui vivent ici, ce qu’elles apportent et leur engagement envers la collectivité. Il n’y a pas qu’un seul type de personne.

Il y en a beaucoup plus que ce que les gens peuvent penser. Il y a des gens de partout dans le monde qui vivent ici au Yukon, ce qui, je pense, ajoute à la beauté de la collectivité. Et je ne sais pas si les habitants d’une grande ville peuvent se rendre compte que ces centres sont remplis de personnes ayant toutes sortes d’expériences incroyables, toutes sortes de connaissances, et cette diversité du monde entier, c’est ce qui rend les choses vraiment intéressantes.

Je pense donc qu’il y a beaucoup d’aspects uniques à vivre dans un endroit rural. Je pense que la pratique de la médecine ici est certainement unique, mais je pense qu’il y a un énorme niveau d’engagement envers la collectivité de la part des dispensateurs qui sont ici, ce qui est étonnant à voir. Et juste ce sentiment d’être dans le même bateau. Et je pense que c’est aussi l’un des aspects uniques de vivre dans une petite collectivité. Vous connaissez un peu tout le monde, alors vous ne pouvez rien faire sans tenir compte de l’incidence sur la collectivité. Et cela peut être une expérience différente de ce que les gens ont vécu dans une ville. Et je pense que cela s’applique aussi aux soins de santé, non? Votre médecin peut être votre entraîneur de football; votre médecin peut être la personne qui apporte les biscuits à la compétition de natation de votre enfant. Et c’est juste une relation différente de celle qui pourrait se produire ailleurs.

Et je pense que cela peut présenter des défis, tant pour les patients que pour les dispensateurs. Mais c’est aussi très beau la plupart du temps quand on a la chance de vraiment se connaître et de se soutenir mutuellement. Et je pense que nous, en tant que dispensateurs, recevons beaucoup de soutien et de respect de la part de la collectivité ici, ce qui est vraiment charmant. Et une grande partie de la récompense est le sentiment d’avoir pu faire cette différence parce que vous connaissez vraiment les gens. Et je pense que c’est, encore une fois, l’une des choses qui rendent le travail dans le domaine des soins de santé en milieu rural très gratifiant et l’une des choses qui attirent et retiennent les gens.

Alex Maheux

Je pense qu’il est incroyablement réconfortant d’entendre à quel point ces collectivités peuvent être soudées.

Katharine, j’aimerais vous poser une dernière question. Quels sont vos souhaits pour les soins en milieu rural au Canada? Et à quoi ressemblerait la réussite à la fin de votre mandat?

Dre Katharine Smart

Je pense que mon grand souhait pour le Canada rural est que nous puissions continuer à attirer et à retenir les dispensateurs de soins de santé qui sont vraiment motivés par la pratique en région rurale. Et je pense que pour y parvenir, nous devons repenser certains systèmes et les rendre plus durables pour les personnes qui y travaillent. Je pense donc que nous ne devons pas rester coincés dans le statu quo, mais être prêts à ouvrir nos esprits, à trouver d’autres façons de nous organiser, d’autres façons de travailler en équipe pour rendre le travail attrayant et intéressant à long terme.

Parce que les personnes qui choisissent de faire de la médecine rurale sont passionnées par ce type de travail. Elles aiment leur collectivité. Elles veulent s’occuper de tous les aspects de la médecine. Mais nous devons veiller à ce que le système ne les dévore pas vivants pour les empêcher de le faire. J’aimerais donc voir un système qui permet à ces personnes d’être présentes et de trouver la joie de vivre, afin qu’elles puissent être en bonne santé tout en travaillant à la santé de leur collectivité.

C’est donc, je pense, vraiment ce que serait mon souhait pour la médecine rurale. Est-ce que je pense que tout cela va se produire au cours de ma seule année de présidence de l’AMC? Non, je ne le pense pas. Ce n’est pas réaliste. Mais je pense que ce qui peut arriver, c’est que ces questions soient vraiment au centre de l’attention. Je pense que nous avons une occasion en ce moment. Parce que je pense qu’il est assez clair que les gens ne veulent pas sortir de cette pandémie en revenant à la situation d’avant. Je pense donc que les occasions qui s’offrent à nous sont probablement beaucoup plus importantes que par le passé. Et j’espère donc que nous pourrons commencer à voir un mouvement dans cette direction. Et j’espère que nous pourrons commencer à voir la diversité de ce pays se refléter dans les professionnels de la santé qui le servent.

Alex Maheux

Je l’espère aussi.

Katharine, merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé aujourd’hui, pour nous aider à mieux comprendre ce que c’est que d’être un médecin en milieu rural. Et je dois dire que j’ai vraiment hâte de voir ce que vous allez accomplir en tant que présidente de l’AMC.

Dre Katharine Smart

Merci beaucoup, Alex.

Alex Maheux

Merci de nous avoir écoutés. Revenez la prochaine fois, car nous continuerons à vous présenter des points de vue utiles et des sujets liés aux soins de santé.

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Cet épisode a été produit par Angela Baker et Stephanie Bright. Et notre producteur principal est Johnathan Kuehlein. Ici, Alex Maheux. À la prochaine!
 

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