Les soins de santé de faible valeur au Canada — Dre Wendy Levinson et Dre Janet Reynolds

30 min | Publié le decembre 2 2022

La surutilisation des examens et des interventions médicales au Canada est un problème grave qui coûte beaucoup de temps et d’argent aux systèmes de santé du Canada et qui peut même être préjudiciable pour les patients. Les Dres Janet Reynolds et Wendy Levinson de la campagne Choisir avec Soin se joignent à notre animatrice Avis Favaro pour discuter des causes premières de ces problèmes, des progrès réalisés depuis la publication du rapport précédent en 2017 et des solutions qui permettraient de réduire la surutilisation.

Cet épisode est disponible en anglais.

Transcription

Avis Favaro

La pandémie de COVID-19 a provoqué des perturbations majeures dans le système de santé canadien. Les ressources ont été mises à rude épreuve, avec de longues attentes aux urgences et des listes d’attente pour d’autres soins. Est-il possible d’aider ce système tendu à mieux fonctionner avec moins d’efforts? En réduisant les tests et les procédures qui ne sont peut-être pas vraiment nécessaires?

Wendy Levinson

Je pense que, plus que jamais, nous devons réduire les soins à faible valeur ajoutée et protéger notre système de santé.

Avis Favaro

Le podcast d’aujourd’hui porte sur Choisir avec soin, une campagne mondiale visant à mettre fin aux tests et traitements médicaux de faible valeur qui n’aident pas vraiment les patients et pourraient même, potentiellement, leur nuire, et de la raison pour laquelle la pandémie pourrait être le moment idéal pour procéder à ces changements.

Janet Reynolds

Je pense que l’on peut considérer certains des travaux et des recommandations de Choisir avec soin comme des sortes de gilets de sauvetage. Ils sont nos petits gilets de sauvetage qui peuvent aider à faire un petit changement dans cette situation de crise.

Avis Favaro

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Nous l’appelons CHIP, en anglais. Je suis Avis Favaro, et j’anime cette discussion, où nous examinons notre système de santé, les données ainsi que les problèmes et les solutions.

Notez que les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’ICIS.

Il s’agit d’une discussion libre et ouverte, et celle-ci porte sur la surconsommation de tests et de traitements, la campagne visant à les limiter, et les quatre questions que les patients peuvent poser pour obtenir les meilleurs soins au moindre risque.

Se joint à nous aujourd’hui, la Dre Wendy Levinson, professeure de médecine à l’Université de Toronto et présidente de Choisir avec soin Canada. Bienvenue, Wendy.

Wendy Levinson

Merci de me recevoir.

Avis Favaro

Et la Dre Janet Reynolds, une médecin de famille qui soutient la pratique Choisir avec soin dans son travail à Calgary. Bonjour, Janet.

Janet Reynolds

Bonjour. Merci de me recevoir.

Avis Favaro

Commençons donc par vous, Wendy. J’ai été surprise d’apprendre que plus d’un tiers des procédures et des tests médicaux, comme certaines analyses de sang et radiographies et certains médicaments, ne sont pas vraiment bénéfiques pour les patients et peuvent même leur nuire. Comment en est-on arrivé là?

Wendy Levinson

Oui. Il est un peu surprenant d’entendre ce fait, mais ce chiffre est reproduit dans de nombreux pays du monde, pas seulement au Canada. Et c’est parce que beaucoup de choses sont intégrées dans notre système, faites de manière routinière, et nous ne les remettons pas nécessairement en question. Et certaines de nos actions peuvent être préjudiciables, par exemple les médicaments qui peuvent avoir des effets secondaires ou les tests qui entraînent ce que nous appelons des faux positifs. Il est donc important que les patients sachent que plus ne signifie pas toujours mieux dans le domaine des soins de santé.

Avis Favaro

Et est-ce que cela fait partie de la formation, Janet? On vous dit simplement que c’est ce dont vous avez besoin et personne ne le remet jamais en question?

Janet Reynolds

Parfois, ces tests sont appuyés par d’anciennes preuves, et nous restons coincés avec ces dernières, sans tenir compte des données modernes et sans suivre leur évolution. Ainsi, ce qui semblait être une bonne idée ou ce qui semblait être une bonne chose à faire il y a dix ans ne l’est plus. Comme la littérature change, nous devons rester à jour. Et il nous faut beaucoup de temps pour changer nos pratiques.

Avis Favaro

Choisir avec soin Canada a vu le jour en 2014 et, Wendy, vous avez été l’une des principales raisons de son lancement. Pourquoi était-ce important pour vous?

Wendy Levinson

Eh bien, je pense que la surutilisation a été en quelque sorte invisible dans notre système. Je suis d’accord avec Janet pour dire que nous apprenons ces choses au cours de notre formation et qu’elles nous accompagnent tout au long de notre pratique. Mais il était évident pour moi que ces choses peuvent être préjudiciables pour les patients, et qu’elles nuisent également au système de soins de santé, car nous ne pouvons pas nous permettre, surtout après la pandémie, de gaspiller des ressources. Nous devons les consacrer à des soins de haute qualité pour le plus grand nombre de patients.

Il était donc évident pour moi que nous devions avoir cette discussion, mais il fallait que la profession elle-même mène cette discussion parce que je crois que les patients font confiance aux médecins, comme ils le devraient, et je crois que les médecins savent quand ils font des choses qui ne sont pas fondées sur l’excellence de la science, mais plutôt sur de vieilles habitudes.

Avis Favaro

En collaboration avec Choisir avec soin et l’Institut canadien d’information sur la santé, vous avez commencé à examiner un certain nombre de procédures et de tests dès 2014. Donc maintenant, nous étudions les données afin de comparer où nous étions et où nous sommes maintenant. Ce nouveau rapport est publié sur le site web de l’ICIS, afin que les gens puissent consulter les données.

À vous la parole, Wendy. Quel chemin avons-nous parcouru depuis les huit dernières années en ce qui concerne la gestion de ces tests?

Wendy Levinson

Tout d’abord, c’est une excellente chose que l’ICIS dispose maintenant de plus de données, car elles nous permettent d’examiner l’évolution des tendances. Et les principales conclusions de ce rapport sont que le Canada a réalisé des progrès pour 8 des 12 indicateurs, affichant une baisse d’au moins 10 % en matière de surconsommation pour ces 8 indicateurs. Voilà pour la bonne nouvelle.

Deuxièmement, certaines provinces ou certains territoires obtiennent de meilleurs résultats que d’autres pour l’un ou l’autre de ces indicateurs. Et c’est aussi une bonne nouvelle, car cela signifie que nous pouvons apprendre les uns des autres. Je pense donc que ce sont là deux conclusions essentielles.

Avis Favaro

J’ai choisi cinq domaines, et vous pouvez en citer d’autres. Nous avons analysé les tests préopératoires, les transfusions sanguines, les personnes âgées et les médicaments, les antibiotiques, ainsi que les lombalgies. Et je vais commencer par celui-là, parce que j’imagine, Janet, que vous recevez un bon nombre de personnes qui viennent vous voir avec des douleurs lombaires. Et beaucoup d’entre elles s’attendent à passer un scanneur, une radiographie, une IRM pour ça. Mais comme le dit Choisir avec soin, il faut faire attention quand on fait ces examens.

Janet Reynolds

Je pense que vous avez raison. Nous savons depuis longtemps que l’imagerie ne permet pas souvent d’obtenir la réponse que l’on cherche ou de changer la gestion de la douleur. Il s’agit donc d’expliquer aux patients, après une bonne conversation avec eux et après les avoir examinés, quelles pourraient être les prochaines étapes pour gérer cette douleur, puis d’encourager le suivi. Si les choses ne progressent pas comme vous l’attendez, vous devriez réévaluer la situation.

Avis Favaro

Je comprends. Vous dites donc que la plupart des patients souffrant de douleurs dorsales n’ont pas besoin d’imagerie médicale?

Janet Reynolds

C’est exact.

Avis Favaro

Et que disent les patients qui veulent ces tests lorsque vous leur dites qu’ils n’en ont pas besoin?

Janet Reynolds

Il faut un peu de pratique pour avoir cette conversation, si le patient a des attentes très élevées. Souvent, il s’agit de négocier et de garder la porte ouverte pour une nouvelle visite ou une nouvelle conversation. Et le plus souvent, ils vont mieux avec le plan que vous proposez et ils ne reviennent pas pour une radiographie.

Avis Favaro

Donc, Wendy, lorsque vous avez examiné les données, où en étions-nous en 2014 lorsque vous avez lancé Choisir avec soin? Et où en sommes-nous, en gros, maintenant avec ça?

Wendy Levinson

Eh bien, Avis, c’est l’un des indicateurs sur lesquels nous n’avons pas beaucoup progressé. Jusqu’à 30 % des patients subissaient une radiographie potentiellement inutile lorsque nous avons commencé à examiner la situation, mais nous n’avions les données que d’une seule province. Plusieurs provinces ont maintenant présenté leurs données et il semble qu’entre 25 et 30 % des patients subissent l’un de ces examens d’imagerie. Je pense donc que c’est un domaine, en fait, qui indique que nous avons encore du pain sur la planche, mais c’est une question complexe, en partie pour les raisons que vous avez évoquées avec Janet.

D’après mon expérience, j’ajouterais à ce que disait Janet que les patients ont souvent peur que quelque chose soit très grave. Et lorsqu’un médecin écoute, prend connaissance des antécédents médicaux et explique la situation, c’est souvent ce qui rassure les gens et leur fait comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une radiographie. Je dis souvent qu’une demande de test est le signe d’une inquiétude. Et si vous comprenez ce qui préoccupe le patient, souvent, la demande de test devient en quelque sorte discutable et non nécessaire.

Mais nous avons encore du travail à faire sur ce point. C’est une question sur laquelle nous n’avons pas beaucoup progressé.

Avis Favaro

Bien. Mais si je suis un patient et que je dis que j’ai mal au dos, quel mal y a-t-il à faire une radio? Quel mal y a-t-il à faire un scanneur?

Wendy Levinson

Tout d’abord, les rayons X et les TDM sont des rayonnements, et nous savons que les rayonnements, avec le temps, peuvent augmenter le risque de cancer chez les gens.

Deuxièmement, et probablement plus couramment, ce qui se passe souvent, c’est que vous faites une radiographie et vous trouvez quelque chose que nous disons être accessoire. Par accessoire, je veux dire que vous ne vous y attendiez pas. C’est juste quelque chose que vous remarquez et qui n’est peut-être pas pertinent. Mais cela conduit à une autre radiographie, puis à une radiographie de suivi, puis peut-être à une biopsie, et cela peut conduire à une complication. C’est ce que nous appelons la cascade en aval de tests de plus en plus nombreux.

Janet Reynolds

De plus, l’anxiété des patients, lorsqu’ils ont ces découvertes fortuites, devient assez élevée. Et souvent, leur inquiétude ne revient pas à la normale, sachant qu’ils ont fait cette découverte, qu’elle a été étudiée et qu’elle est finalement normale. Ainsi, on médicalise ou on transforme une personne en bonne santé en patient sans en avoir nécessairement besoin.

Avis Favaro

Vous avez vu cela se produire?

Janet Reynolds

J’ai déjà vu ça. Oui. Souvent, les patients, s’ils ont tendance à être anxieux ou à avoir des problèmes de santé, vont commencer à chercher d’autres choses, ils pensent que quelque chose ne va pas chez eux. J’ai fait cette radio et elle a montré quelque chose. Même si c’était normal, maintenant je suis inquiet pour la suite.

Avis Favaro

La prochaine chose dont je veux parler, ce sont les antibiotiques. C’est un énorme problème. L’Organisation mondiale de la santé l’a reconnu : un trop grand nombre d’antibiotiques utilisés de manière inadéquate peut entraîner une résistance aux antibiotiques et l’apparition de superbactéries qui défient ensuite tout traitement.

Wendy, je voudrais connaître votre opinion sur ce point. Je vois dans le rapport qu’on a observé une baisse de 11 % sur 8 ans. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. N’est-ce pas?

Wendy Levinson

Oui. Je pense que c’est exactement cela. C’est bien, mais ce n’est pas assez. Et l’une des choses que nous savons utiles dans le cadre des consultations externes est de donner aux médecins un retour d’information. Souvent, en tant que médecin, je ne sais pas que je prescris plus d’antibiotiques que mes collègues. Mais lorsque nous examinons des médecins individuels, nous leur donnons des informations sur leur rendement par rapport à leurs pairs. Ainsi, si Janet fait mieux que moi, je veux savoir ce qu’elle fait et améliorer ma pratique. Nous appelons cela l’audit et le retour d’information, et c’est un mécanisme puissant pour réduire l’utilisation d’antibiotiques.

Avis Favaro

Permettez-moi de passer à Janet, car je sais que vous devez subir une pression incroyable, notamment de la part des familles avec de jeunes enfants qui vous demande de leur donner quelque chose, que ce soit des antibiotiques ou autre. Quelle est la pression que vous subissez?

Janet Reynolds

La pression se fait parfois sentir. Nous disposons d’une série d’outils créés par Choisir avec soin grâce à des analyses de la documentation portant sur la possibilité de retarder la prescription d’antibiotiques. Encore une fois, il faut dire au patient qu’il n’a pas besoin d’antibiotique pour l’instant, mais lui donner une prescription qu’il pourra aller faire préparer dans 48 ou 72 heures, si certains symptômes apparaissent ou évoluent d’une certaine façon. Nous savons que beaucoup de ces prescriptions ne sont pas préparées, donc c’est une bonne stratégie.

Pour en revenir à la remarque de Wendy, les patients ont souvent besoin d’être rassurés et veulent savoir qu’ils n’ont pas besoin d’un antibiotique. Je l’entends effectivement.

Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir sur la question de la surconsommation d’antibiotiques dans la population et, également, des préjudices potentiels. Nous constatons souvent des complications liées à la prise d’antibiotiques, comme une diarrhée excessive, des éruptions cutanées, des allergies, toutes choses qui auraient pu être évitées. Nous voulons donc toujours éviter les complications, et cela nous ramène à la personne un peu plus qu’à l’ensemble de la population.

Avis Favaro

Vous avez adhéré au concept d’utilisation des outils lorsque cela est nécessaire et bénéfique. Lorsque vous regardez vos collègues dans les cliniques sans rendez-vous, êtes-vous inquiète?

Janet Reynolds

Oui, cela m’inquiète. Je pense qu’il existe une perception selon laquelle ne pas prescrire d’antibiotiques prend plus de temps, et nous savons que ce n’est pas vrai. Cela prend quelques minutes. Et je pense que le concept des cliniques sans rendez-vous, où les soins sont très ponctuels, vous fait courir le risque de prescrire des traitements et des tests qui ne sont pas nécessaires parce que vous n’avez pas de contexte ou de relation continue avec un patient.

Avis Favaro

Passons à un autre domaine que j’ai trouvé vraiment intéressant, celui des tests préopératoires. Personnellement, j’ai été très surprise d’apprendre que certains patients subissent des radiographies pulmonaires et des épreuves d’effort cardiaque s’ils doivent subir une intervention oculaire ou une endoscopie. Je veux dire, pourquoi auriez-vous besoin de ces tests pour ce genre d’intervention?

Wendy Levinson

Parfois, ce qui se passe, c’est que les choses deviennent routinières à l’hôpital. Ils font simplement partie de ce que nous appelons les modèles d’ordonnances. Chaque fois qu’une personne vient se faire opérer pour une chirurgie ou une opération de la cataracte, elle subit les examens suivants. Personne ne les exige vraiment. Ils apparaissent simplement parce qu’ils font partie de la routine qui se fait presque automatiquement. Et donc ces choses-là, personne ne se demande si elles sont nécessaires ou non. Ça arrive à tout le monde.

Et donc, vous pourriez commencer à examiner ces choses pour cibler les patients pour qui ces tests sont vraiment nécessaires. Par exemple pour les patients à faible risque, comme l’opération d’une hernie chez une personne jeune, ou l’opération d’une cataracte chez une personne âgée. Ces examens peuvent donc être évités chez les patients à faible risque. Nous ne disons pas qu’ils ne sont jamais nécessaires, mais nous n’en avons pas besoin de façon systématique pour tout le monde.

Avis Favaro

Je vois dans les données qu’il y a eu une baisse de 17 % pour les deux mesures. Comment évaluez-vous cela, Wendy?

Wendy Levinson

Eh bien, je pense que c’est un bon progrès. Je veux dire, il y a encore beaucoup à faire, mais je pense que nous avons commencé à avoir une conversation dans la communauté médicale sur les tests préopératoires inutiles. Ainsi, des spécialités telles que l’anesthésie, la chirurgie et la médecine interne, qui sont susceptibles de demander ce genre d’examens, pourraient réévaluer leurs vieilles habitudes et tenter de réduire les soins inutiles.

Avis Favaro

D’accord. Passons au prochain indicateur, soit les personnes âgées. Un sujet qui est d’actualité depuis de nombreuses années est la surconsommation de benzodiazépines, de sédatifs, d’antihypnotiques dans ce groupe d’âge, et le risque que cela entraîne des chutes et des fractures de la hanche et des hospitalisations, voire la mort. Alors, où en étaient les choses quand vous avez commencé à faire le suivi de cette pratique, Wendy?

Wendy Levinson

C’est probablement l’un de mes indicateurs préférés, car je dis toujours que nous faisons plus de mal que de bien lorsque nous prescrivons ces médicaments de façon continue aux personnes âgées. Nous menons aux choses que vous avez mentionnées : chutes, problèmes de mémoire, accidents de voiture. Je veux dire, les gens pensent que ces médicaments vont les aider à s’endormir, ou qu’ils vont les aider à se détendre, mais en fait, ils font plus de mal que de bien. Ce sont des médicaments très importants à réduire chez les personnes âgées.

J’ai été abasourdie, lorsque nous avons commencé ce travail, d’apprendre que 1 Canadien sur 10 prenait ces médicaments de manière chronique. Et dans certaines provinces, c’était un Canadien sur 4. Je me suis dit… mais que faisons-nous là? Heureusement, il s’agit là encore d’un indicateur où nous avons fait quelques progrès, mais il nous reste encore beaucoup de travail à faire, car nous sommes passés d’un Canadien sur 10 à un sur 12, ce qui est une amélioration.

Avis Favaro

Ça ne me semble pas beaucoup.

Wendy Levinson

C’est un progrès. Nous empêchons probablement certaines personnes de tomber et de se fracturer la hanche. Mais nous avons beaucoup de travail à faire à ce chapitre. Et nous sommes aussi décalés par rapport au reste du monde. D’autres pays font beaucoup mieux que nous dans ce domaine. Nous devons donc retrousser nos manches. Et c’est un travail difficile. Janet, vous savez à quel point c’est difficile de dire à une personne qui a l’habitude d’en prendre d’arrêter.

Avis Favaro

C’est la déprescription. Oui. Est-ce qu’il vous arrive d’avoir un nouveau patient, de regarder la liste des médicaments et de rester estomaquée?

Janet Reynolds

Vous savez quoi? Que ce soit avec un nouveau patient ou même avec des patients existants, il faut saisir l’occasion de réévaluer avec eux leur liste de médicaments. La déprescription est l’une des choses que je préfère. Nous savons qu’elle entraîne généralement un résultat positif. L’élimination d’un médicament qui n’est pas nécessaire pose très rarement problème.

Mais cela prend du temps. Et quand quelqu’un prend des benzodiazépines depuis longtemps, il faut procéder à pas de tortue. Il faut y aller très progressivement avec les patients. La plupart d’entre eux sont motivés, une fois qu’ils ont compris les complications possibles. Personne ne veut perdre son indépendance, tomber et se casser une hanche, et ne plus pouvoir vivre dans sa maison et vieillir chez soi.

Avis Favaro

C’est une bonne motivation lorsqu’une personne peut rester chez elle. Mais pourquoi cet indicateur ne s’est-il pas davantage amélioré?

Wendy Levinson

L’une des choses que nous remarquons aussi, dans le cadre de notre travail, c’est que ces médicaments sont d’abord prescrits à l’hôpital. Un patient peut être admis, et le protocole fait en sorte que le patient reçoit un médicament le soir, si nécessaire, pour le sommeil. Et ensuite la personne reçoit son congé en ayant une prescription pour ce médicament. Une partie du travail effectué au Canada consiste à réduire la prise initiale de ces médicaments dans le cadre hospitalier afin de ne pas contribuer à ce que les personnes les prennent de manière chronique.

Avis Favaro

Le dernier point concerne les transfusions sanguines chez les patients hospitalisés, Wendy. Alors comment et pourquoi quelqu’un pourrait-il abuser d’une transfusion sanguine? Et quels en sont les risques?

Wendy Levinson

Donc ce qui se passe, c’est que durant notre formation en médecine, nous apprenons à pratiquer d’une certaine façon. Je dirais que durant toute ma carrière, j’ai demandé deux unités de globules rouges chaque fois qu’un patient avait besoin de sang. Je croyais qu’il fallait en demander deux automatiquement. Je vois que ça fait rire Janet. C’est ainsi que nous nous sommes formés. N’est-ce pas? Mais je me rends compte maintenant, à force de lire sur le sujet, qu’il faut demander une unité, puis réévaluer la situation et en commander une autre, au besoin.

Et la deuxième chose, c’est que j’ai aussi appris à donner du sang lorsque le taux d’hémoglobine n’était pas vraiment assez bas pour le justifier. Et les recherches montrent qu’il est possible de réduire nettement la quantité de sang sans complications pour le patient.

Et la raison pour laquelle c’est important est que, premièrement, c’est une ressource précieuse donnée par la société. Deuxièmement, il y a des effets secondaires aux transfusions sanguines. En fait, un patient sur 100 aura des complications. On appelle cela le syndrome de surcharge circulatoire, où le patient présente un excès de fluides.

Et troisièmement, c’est très cher. Le Canada dépense un milliard de dollars pour l’achat de sang.

Et puis j’en ajouterais un quatrième, qui est l’impact sur l’environnement parce que nous gaspillons beaucoup de plastique pour le transport du sang. En tant que dispensateurs de soins de santé, nous protégeons également l’environnement pour le bien de nos patients. Je dirais que la diminution des transfusions de sang présente de multiples avantages, car elle permet de préserver une ressource précieuse, de diminuer les complications et les coûts et de protéger l’environnement. Tout le monde y gagne.

Janet Reynolds

J’allais justement souligner le travail accompli par les chirurgiens orthopédistes qui pratiquent des arthroplasties de la hanche et du genou, et qui ont nettement diminué les transfusions sanguines sans que cela nuise à la santé des patients. Je pense que le taux est passé de… je ne me souviens plus du chiffre exact, Avis, mais nous sommes passés de 10 à 30 %, ou de 10 à 20 % de patients ayant besoin d’une transfusion à seulement 3 %.

Avis Favaro

C’est assez impressionnant. Je remarque que le taux de transfusion de globules rouges chez les patients hospitalisés est passé de 11 % à seulement 6 %. C’est donc presque la moitié.

Wendy Levinson

Nous avons fixé des critères de référence pour les hôpitaux et aujourd’hui, près de 250 hôpitaux au Canada se sont engagés à utiliser le sang de manière judicieuse, en comparant leur utilisation par rapport aux critères dont je viens de parler, et en essayant de s’améliorer. Nous avons donc essayé de rallier les hôpitaux à notre cause afin de réduire les transfusions inutiles.

Avis Favaro

Avant de clore le sujet des données, parlons d’équité en matière de santé. Avez-vous cherché à savoir si la surconsommation de tests et de traitements était différente selon les communautés? Par exemple, l’une des conclusions montre que les personnes âgées qui consomment des benzodiazépines et d’autres sédatifs sont plus susceptibles de vivre dans des communautés à faible revenu.

Wendy Levinson

Oui. Il s’agit d’un volet très important du rapport de l’ICIS et d’un point sur lequel nous devons travailler davantage. Grâce aux efforts de l’ICIS, nous avons pu analyser plusieurs variables, par exemple si la personne habite dans une zone rurale ou urbaine, son âge, et aussi son statut socio-économique, sur la base de son code postal. Et cela nous a permis de voir si la surconsommation est plus présente dans certains sous-groupes que dans d’autres. Et, bien sûr, cela influe sur la façon dont nous pouvons améliorer les choses.

Comme vous l’avez mentionné, les benzodiazépines sont un très bon exemple. Nous en savons beaucoup sur le sujet. Nous savons notamment qu’elles sont prescrites davantage aux femmes qu’aux hommes, surtout quand il est question de personnes âgées. En fait, plus de 17 % des femmes de 90 ans et plus consomment des benzodiazépines de manière chronique. Compte tenu de ce dont nous venons de parler, des chutes et des hanches cassées, ce n’est pas là que nous voulons être.

Avis Favaro

Parlons maintenant de l’idée de réduire le recours à certaines procédures et à certains tests médicaux en cas de pandémie. Nous sommes tous soumis au stress. Les hôpitaux se démènent pour donner aux gens des soins de base. Est-ce le bon moment pour en parler et pour dire aux gens de ne pas faire certaines choses? Quand les gens, vous savez, les travailleurs de la santé ont déjà du mal à faire leur travail?

Wendy Levinson

Je pense que les gens qui écoutent ce balado savent que notre système de santé est vraiment sous pression. Nous avons besoin que ce système soit plus vigoureux et résilient. Et si nous éliminons les éléments qui n’ont pas de valeur ajoutée pour les patients, nous pouvons investir cet argent dans des éléments qui en apportent. Plus que jamais, je crois que nous devons réduire les soins à faible valeur ajoutée et protéger notre système de santé.

Janet Reynolds

Je pense que nous devons trouver des solutions rapides, et certaines d’entre elles permettent de réduire la charge de travail. Si je ne demande pas de test, je n’ai pas à l’évaluer. Il est donc plus facile d’éliminer les soins à faible valeur ajoutée si on voit la situation de cette façon.

Avis Favaro

Pensez-vous donc que cela pourrait alléger la pression sur le personnel de première ligne dans les unités d’urgence et les hôpitaux?

Wendy Levinson

Oui. Je pense… prenons l’exemple des examens de TDM de la tête pour une commotion ou un traumatisme crânien mineurs. Les données montrent que ces examens ne sont pas nécessaires en cas de traumatisme crânien mineur. Mais si vous en demandez un, le patient est mis dans une file d’attente et occupe un lit. Vous devez ensuite interpréter les résultats. Vous avez donc une charge de travail plus grande que si vous aviez expliqué au patient les procédures pour le suivi et les symptômes à surveiller et que vous n’aviez pas fait le scan.

Ce ne sont là que quelques exemples. Ils peuvent sembler contre-intuitifs. Mais si vous y réfléchissez, ils diminuent la charge de travail.

Avis Favaro

Oui. C’est ce que je pense aussi. Il semble contre-intuitif de demander aux hôpitaux, à cette étape-ci…

Janet Reynolds

Je pense que l’on pourrait présenter une partie du travail, des recommandations et des trousses d’outils de Choisir avec soin en guise de gilet de sauvetage. Ils peuvent contribuer à apporter de petits changements dans cette situation de crise et sur lesquels nous pouvons ensuite nous appuyer.

Avis Favaro

Je comprends. Durant une semaine typique, Janet, dans quelle mesure pensez-vous que ces pratiques réduisent votre charge de travail? Environ 5 %?

Janet Reynolds

C’est une question intéressante. Il est difficile de quantifier la charge de travail, car d’autres tâches viennent combler ce temps. Vous savez, si je n’ai pas à interpréter cet examen, cela signifie que j’ai plus de temps pour parler au patient de ses soins de fin de vie. Il est donc difficile de savoir exactement, mais je pense que cela libère du temps pour faire un travail plus important ou un travail de plus grande valeur.

Avis Favaro

Je vais vous donner un exemple avant de passer à la conclusion. Durant la pandémie, il y a eu un moment intéressant où Choisir avec soin est intervenu en ce qui concerne les tubes de prélèvement et la surutilisation des tests sanguins. Wendy, qu’est-ce que vous avez fait? Et comment cela a-t-il fonctionné?

Wendy Levinson

Il y avait une pénurie mondiale de tubes de prélèvement pour faire des tests sanguins. Et donc la Society of Clinical Chemists est venue nous dire que nous avions un problème. Ils ont passé en revue toutes nos recommandations et ont mis en évidence celles concernant les analyses de sang superflues. Durant la pandémie, nous les avons fait circuler et il y avait une petite note accrocheuse avant chacune du type « Le saviez-vous »?

Et j’ai beaucoup appris sur les tests sanguins superflus. Par exemple, un test que je demande fréquemment, appelé taux de sédimentation, prend une heure à un technicien de laboratoire et nécessite un tube de sang. J’ai été étonnée de l’apprendre.

Janet Reynolds

Et je pense que ce qui est sorti de cette pénurie de tubes de prélèvement a vraiment trouvé écho auprès des gens et leur a montré où était leur place au sein du système dans son ensemble. Je vois uniquement ma relation médecin-patient, mais en fait, le test que je demande pourrait priver une personne qui suit un traitement contre le cancer et qui a vraiment besoin d’un test sanguin. C’était peut-être le côté positif.

Avis Favaro

Bien. Ma dernière question est la suivante : y a-t-il des questions que les patients peuvent poser, s’ils vont à l’hôpital ou chez un médecin?

Wendy Levinson

Nous encourageons les patients à poser quatre questions. Ai-je vraiment besoin de ce test ou de ce traitement? Y a-t-il des inconvénients? Existe-t-il des options plus simples et plus sûres? Et si je ne fais rien? Dans le cadre de nos travaux, nous essayons d’intégrer ces quatre questions afin que les gens se sentent habilités à demander aux médecins si un test ou un traitement leur convient ou non.

Janet Reynolds

Dans mon cadre de médecine familiale, cela repose sur notre relation à long terme avec nos patients. Il s’agit de permettre au patient de poser ces questions. Souvent, je me dis… oh, mon dieu, vous avez raison. On pourrait peut-être attendre un jour ou deux. Et ces conversations sont les bienvenues.

Avis Favaro

Bien. J’ai vraiment apprécié cette discussion. D’une certaine manière, c’est un outil à notre portée dans le système de santé. Si vous éliminez le superflu, vous libérez de l’espace pour d’autres thérapies.

Je vous remercie toutes les deux. Janet, merci beaucoup. Et, Wendy, merci. J’apprécie vraiment votre visite.

Wendy Levinson

Tout le plaisir est pour nous.

Janet Reynolds

Merci beaucoup, Avis.

Avis Favaro

Les tests et traitements médicaux de faible valeur utilisent des ressources hospitalières précieuses et ne sont pas toujours bénéfiques pour les patients. Il existe des moyens de limiter la surconsommation, la pandémie étant le moment idéal pour examiner de près ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas.

Merci d’avoir participé à notre discussion. Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein. Un grand merci à Aila Goyette et à Alya Niang, qui anime notre balado en français.

Et si vous voulez lire le nouveau rapport Choisir avec soin réalisé en collaboration avec l’ICIS, rendez-vous sur icis.ca et abonnez-vous à notre balado sur la plateforme de votre choix.

Ici Avis Favaro. À la prochaine!

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