Les services d’urgence en état de crise — Dr Fraser Mackay et David Leary

28 min | Publié le 25 avril 2024

Entre les pénuries de main-d’œuvre, l’épuisement des médecins, la fermeture de services et les longs temps d’attente, il ne fait nul doute que les services d’urgence du Canada sont engorgés. Certains services d’urgence sont si occupés que les corridors sont remplis de patients qui peuvent attendre plusieurs jours sur une civière avant d’être admis ou qui, dans certains cas, décident de partir sans avoir obtenu de soins. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Avis Favaro s’entretient avec des travailleurs de première ligne au sujet de la crise qui sévit dans les services d’urgence du Canada, de ses répercussions sur les travailleurs de la santé et les patients, ainsi que des mesures prises pour réduire le fardeau :

  • Dr Fraser Mackay, médecin urgentologue et directeur adjoint à la planification de l’effectif du département de médecine d’urgence à Saint John, Nouveau Brunswick,
  • David Leary, ambulancier paramédical chevronné et porte-parole de l’Ambulance Paramedics of British Columbia.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcript

Avis Favaro
Partout au Canada, les services d’urgence sont soumis à une pression extrême. Les personnes en attente de soins, comme cette femme, sont très angoissées.

Patient non identifié
Le nombre de patients qui se trouvaient dans ce couloir ou dans cette situation était écrasant.

Avis Favaro
Les données montrent que le nombre de visites à l’urgence dépasse désormais les 15 millions par an, avec des attentes plus longues pour les soins et les lits. Selon ce médecin, les services d’urgence sont débordés.

Médecin non identifié
Nous devons recevoir les patients dans des espaces non conventionnels, comme les salles d’attente, les corridors, les placards, auxquels les patients ne s’attendent pas, et ils méritent certainement mieux.

Avis Favaro
Dans l’émission d’aujourd’hui, nous examinons de plus près cette crise nationale des urgences avec 2 personnes qui se trouvent en première ligne. L’une d’entre elles est David Leary, ambulancier paramédical en Colombie-Britannique.

David Leary
On voit beaucoup de patients sur civière qui attendent d’être hospitalisés ou d’être vus au triage. C’est assez préoccupant et stressant.

Avis Favaro
Nous nous entretiendrons également avec Fraser Mackay, urgentologue au Nouveau-Brunswick, qui nous parlera de la détresse des patients, dont beaucoup n’ont pas de médecin de famille, et qui ont besoin de soins.

Dr Fraser Mackay
Nous ne pouvons pas dire non. Nous ne pouvons pas refuser un patient. Nous ne fermons pas nos portes et nous continuons à nous battre. Cela conduit à l’épuisement professionnel, à une réduction des effectifs et à des fermetures.

Avis Favaro
Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Nous l’appelons CHIP, en anglais. Je suis Avis Favaro, et j’anime cette discussion.
Remarque : Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut canadien d’information sur la santé, mais il s’agit d’une discussion ouverte. Et celle-ci porte sur les soins d’urgence, la dernière ligne de défense en cas de blessure ou de maladie grave, un filet de sécurité dont certains pensent qu’il est en train de s’effondrer.
David Leary, ambulancier paramédical chevronné, se joint à nous depuis Surrey, en Colombie-Britannique. Bonjour, David.

David Leary
Bonjour. Merci beaucoup de m’avoir invité.

Avis Favaro
Je vous en prie. Vous êtes ambulancier paramédical en Colombie-Britannique. Vous avez 25 ans d’expérience?

David Leary
Oui. Ça fait 25 ans maintenant. C’est exact.

Avis Favaro
Vous avez tout vu. Combien de fois par semaine amenez-vous des patients à l’urgence?

David Leary
En général, les ambulanciers paramédicaux ici travaillent 4 jours et sont en congé les 4 jours suivants. Pendant leurs 4 jours de travail, ils traitent environ de 8 et 12 appels par quart. Et dans la majorité des cas, il s’agit de transports vers l’hôpital. Ils peuvent donc se rendre à l’hôpital 40 fois au cours de leur semaine de travail de 4 jours.

Avis Favaro
Vous avez une bonne vue d’ensemble de ce qui se passe à ce point d’entrée du système de santé.

David Leary
Absolument, à 100 %. On est aux premières loges quand on transporte des patients directement au service d’urgence. Et nous pouvons en témoigner à chaque quart, chaque jour.

Avis Favaro
Comment décririez-vous l’évolution que vous avez constatée à ce point d’entrée au cours des 25 dernières années?

David Leary
Le volume d’appels a augmenté de manière significative au cours de ces années. Il y a également une augmentation du nombre de patients dans les urgences et du nombre de personnes qui s’y rendent en général. Le personnel médical est donc débordé en raison du nombre de personnes qui viennent à l’hôpital pour se faire soigner. Le système hospitalier et les services d’urgence sont donc mis à rude épreuve, ce qui se répercute sur le transport en ambulance et nous met à rude épreuve.

Avis Favaro
Faites-nous voir à quoi ça ressemble. Vous amenez un patient sur civière à l’urgence. Vous entrez dans l’urgence de l’hôpital. Que voyez-vous de plus aujourd’hui à votre arrivée?

David Leary
La congestion. La congestion. Une grande congestion. Beaucoup de gens qui attendent d’être admis dans le système de santé, dans l’hôpital. On voit beaucoup de patients sur civière qui attendent un lit d’hôpital.
C’est très préoccupant et très stressant pour les ambulanciers. C’est assez stressant pour les patients et c’est très stressant pour le personnel hospitalier. Tout le monde est soumis à une forte pression pour aider les patients à passer par le système de manière appropriée et opportune.

Avis Favaro
Avez-vous déjà vu des patients dans des endroits inhabituels? Des espaces non conventionnels — je crois que c’est le terme utilisé.

David Leary
Tous les jours, on voit des patients dans les couloirs. On les voit dans le service d’urgence, autour des postes de soins infirmiers, dans les lits d’hôpitaux. Ils ne se trouvent pas dans des chambres.
Et lorsqu’ils sont traités, évalués et soignés dans les couloirs et à l’extérieur, ils ne bénéficient pas de la dignité, des soins appropriés, de l’intimité et de la confidentialité auxquels ils s’attendent.

Avis Favaro
Nous entendons dire que tout le monde — les médecins, les travailleurs de première ligne, le personnel infirmier — travaille très dur. Que voyez-vous?

David Leary
Nous savons qu’ils sont stressés. Nous leur parlons. Nous pouvons le voir. Mais je dirai qu’ils sont des professionnels et qu’ils se comportent comme tels lorsqu’ils s’occupent et traitent des patients au sein du service.
Et en tant qu’ambulanciers paramédicaux, nous n’avons que des éloges pour le personnel des services d’urgence ici en Colombie-Britannique et dans la région métropolitaine de Vancouver où je travaille. Mais c’est une tâche difficile pour eux dans les conditions de travail qui sont les leurs.

Avis Favaro
On utilise le terme « délestage ». David, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit?

David Leary
Bien sûr. Lorsqu’une équipe ambulancière ou paramédicale arrive à l’hôpital, elle fait l’inscription du patient, puis l’amène au triage. Ensuite, s’il y a des évaluations particulières à faire avant de placer le patient dans un secteur de l’hôpital, ou si le patient doit être assigné à un lit, et que cela ne peut pas être fait en temps voulu, on a un retard de transfert pour l’équipe ambulancière ou paramédicale. Et nous sommes essentiellement retenus dans le service d’urgence pour prendre soin de ce patient jusqu’à ce qu’il puisse être accepté dans le système hospitalier.

Avis Favaro
Combien de temps devrait durer ce transfert?

David Leary
Lorsqu’on arrive au service d’urgence, il faut habituellement de 30 à 45 minutes pour faire l’inscription, le triage et placer le patient dans un lit d’hôpital.

Avis Favaro
Qu’arrive-t-il maintenant?

David Leary
En fonction des effectifs de l’hôpital, nous pouvons attendre une heure, 2 heures. J’ai vu des temps d’attente allant jusqu’à 5 heures pour placer un patient dans un lit.

Avis Favaro
Que se passe-t-il lorsqu’un hôpital est tellement occupé que les ambulanciers ne peuvent pas faire le transfert?

David Leary
Ils ne peuvent pas répondre à d’autres appels d’urgence, de transfert ou de soins, ce qui peut avoir des effets négatifs sur les patients qui sont en déplacement ou sur le terrain — c’est l’expression que nous utilisons — et qui attendent une ambulance pour être transportés à l’hôpital ou pour recevoir des soins des ambulanciers paramédicaux. Cela retarde l’accès aux soins.
De plus, les patients sont soumis à des délais de transfert ou d’hospitalisation, et nous avons peu à leur offrir à ce moment-là en matière de diagnostic ou de soins; ils ont besoin d’un niveau de soins plus élevé, ce que l’hôpital leur fournit. Lorsque l’accès aux soins est retardé, les patients peuvent devoir séjourner plus longtemps dans le système de santé, car leur état s’est aggravé pendant l’attente parce qu’ils n’ont peut-être pas reçu les soins dont ils avaient besoin.

Avis Favaro
Ce que vous avez décrit n’est pas un déroulement fluide entre les services d’urgence et l’hôpital proprement dit. Cela aidera les gens à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’anecdotes racontées par les patients, mais aussi de ce que les professionnels voient.

David Leary
C’est notre réalité quotidienne. Nous savons comment le système fonctionne dans les hôpitaux. Mais si on se place du point de vue du patient qui n’a peut-être jamais mis les pieds au service d’urgence, qui est déjà stressé, malade, blessé, mal en point, cet environnement doit lui sembler très chaotique, ce qui doit ajouter beaucoup au stress de sa situation parce qu’il ne sait pas exactement ce qui se passe dans ce service. Et cela lui semble probablement très chaotique.
Mais pour nous, comme je l’ai dit, nous savons que le personnel travaille très, très fort et nous voulons souligner qu’il fait de son mieux dans des moments et des situations difficiles.

Avis Favaro
Je tiens à vous remercier, David. Merci beaucoup pour vos observations, et pour avoir aidé les gens à comprendre le point de vue du personnel paramédical de première ligne.

David Leary
Merci beaucoup de m’avoir reçu. Les ambulanciers paramédicaux de la Colombie-Britannique et l’Association des Paramédics du Canada vous remercient de l’invitation.

Avis Favaro
Pour savoir ce que c’est que de travailler dans ces unités d’urgence débordantes, nous nous rendons à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Le Dr Fraser Mackay est urgentologue et membre de l’Association canadienne des médecins d’urgence ou ACMU. Merci de vous joindre à nous.

Dr Fraser Mackay
Merci beaucoup de l’invitation.

Avis Favaro
Et je comprends que dès que nous aurons fini l’entrevue, vous allez vite traverser la rue pour entreprendre votre quart de travail à l’urgence.

Dr Fraser Mackay
Absolument.

Avis Favaro
À quoi vous attendez-vous lorsque vous franchissez la porte de l’urgence?

Dr Fraser Mackay
C’est ce qui est intéressant avec les urgences : on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais il est certain que les urgentologues évitent de regarder dans la salle d’attente par les temps qui courent parce que nous savons qu’un contact visuel avec les patients peut créer une atmosphère intéressante en raison des temps d’attente qui sont si régulièrement prolongés.

Avis Favaro
Lorsque vous ne les regardez pas, qu’est-ce que vous ne voulez pas dire ou signifier?

Dr Fraser Mackay
Je veux plutôt commencer mon travail avec l’esprit ouvert, sans attentes préétablies, sans inquiétudes, sans ce sentiment automatique que je m’attaque à une grosse pile de dossiers. Je veux juste arriver frais et dispo, et voir mon premier patient sans penser à tous ces gens qui attendent.

Avis Favaro
Cela vous pèse-t-il?

Dr Fraser Mackay
Oui. En réalité, dans un service très occupé, on doit jongler avec 3 à 8 patients à tout moment. Et la frustration que ressentent les patients lorsque je viens les voir n’est généralement pas une trop mauvaise expérience. S’ils ont besoin de se défouler un peu, s’ils sont un peu frustrés, s’ils sont un peu contrariés, c’est compréhensible. Et ce n’est pas le problème. Il s’agit plutôt de prendre conscience que nous ne savons pas ce que nous manquons dans la salle d’attente. Nous savons que les patients quittent l’urgence sans avoir été vus.

Avis Favaro
Si vous deviez décrire en un mot l’état actuel de la médecine d’urgence au Canada, quel serait-il?

Dr Fraser Mackay
Fragile.

Avis Favaro
Pourquoi ce mot?

Dr Fraser Mackay
Les services d’urgence de tout le pays fonctionnent au-dessus de leur capacité, et le personnel se surpasse par défaut, comme il le fait depuis longtemps. On l’a observé lors de la pandémie. Au début, l’achalandage dans les services d’urgence a chuté à près de 0 pendant une courte période. Il a augmenté et se situe maintenant au-dessus des niveaux prépandémique, mais les effectifs n’ont jamais été rétablis. Le système ne s’est jamais rétabli. Toutes nos limites sont donc régulièrement dépassées.
Le système d’urgence et le service d’urgence sont donc souvent considérés comme des soins de première ligne. Le problème, c’est que nous ne sommes pas seulement au début de la chaîne, mais aussi à la fin de la chaîne de soins. Le reste du système révèle son manque de capacité.
Je n’aime pas utiliser le mot « système » car, pour être clair, je ne crois pas qu’il existe un système de santé. Il s’agit d’une série d’endroits et de services cloisonnés. Et le plus souvent, chaque service de chaque système a son propre conflit interne qu’il essaie de gérer, ce qui crée un effet d’autoprotection.
Le fait est que nous faisons tous de notre mieux, mais il y a un très net manque de leadership et de vision globale pour les soins de santé.

Avis Favaro
D’accord. Analysons cela. Depuis combien de temps êtes-vous médecin? Je sais que vous avez déjà été ambulancier paramédical.

Dr Fraser Mackay
Oui. J’ai été ambulancier paramédical pendant longtemps et j’ai travaillé dans de nombreux endroits partout au Canada. Cela fait maintenant 5 ans que j’exerce de manière indépendante. J’ai suivi une formation en médecine familiale, puis j’ai obtenu un certificat en médecine d’urgence.

Avis Favaro
Qu’avez-vous constaté au cours des 5 dernières années en ce qui concerne les consultations à l’urgence?

Dr Fraser Mackay
La gravité globale, en moyenne, augmente un peu en ce qui concerne la fréquence de patients plus malades que ce à quoi on pourrait s’attendre. Il est bien connu qu’il y a de plus en plus de patients âgés qui ont des problèmes de plus en plus complexes et qui n’ont pas été pris en charge de manière optimale en raison du manque d’accès.
Bien que les chiffres globaux augmentent dans les services d’urgence et que les temps d’attente augmentent — enfin, ils n’augmentent pas, ils montent en flèche, pour être franc —, la gravité augmente également. Et ce, dans tous les milieux. Je travaille en milieu urbain et rural. Et nous le constatons également en milieu rural, ce qui, une fois encore, est révélateur du problème global du système de santé.

Avis Favaro
Il s’agit donc de patients plus malades et plus nombreux.

Dr Fraser Mackay
Oui. Nous nous sommes penchés sur une région où je travaillais l’an dernier. Nous avons examiné nos notes prises lors de réunions précédentes avec les responsables concernant le nombre de patients admis dans notre service d’urgence et l’incidence que cela avait sur les temps d’attente, et nos chiffres ont doublé depuis. Il y a un an, nous disions que c’était incroyable. La situation n’a jamais été aussi grave. Nous ne pouvons pas permettre que cela continue. Et la situation n’a cessé d’empirer. Il s’agit d’une histoire assez cohérente dans l’ensemble du pays.

Avis Favaro
D’accord. Où sont gardés ces patients dans votre service d’urgence?

Dr Fraser Mackay
Dans tous nos lits. Dans nos lits de soins de courte durée. Nous avons des patients qui ont été admis à l’unité de médecine interne, qui se situe un niveau en dessous d’une unité de soins intensifs, et qui occupent un lit depuis 48, voire 72 heures; ce lit devrait plutôt être occupé par la dame de 80 ans qui souffre de douleurs thoraciques aiguës ce matin. Mais cette dame est toujours dans la salle d’attente parce que je n’ai pas de lit pour l’évaluer.

Avis Favaro
Oui. Il y a des histoires de personnes qui attendent des jours pour être admises. J’ai parlé à une femme qui a dû subir une chirurgie urgente à la vésicule biliaire. Elle a attendu 48 heures dans le couloir d’un hôpital de Toronto avant d’être admise, avant d’être opérée. Pourquoi l’attente est-elle si longue?

Dr Fraser Mackay
Faire admettre quelqu’un est la première étape. Vous avez besoin d’un médecin et d’un service qui acceptent le patient. En soi, si votre hôpital est plein, cela peut être un défi, car il y aura des pressions pour savoir qui a la capacité d’accepter ce patient.
Mais sur papier, si un patient est accepté par un service donné, oui, nous sommes d’accord pour que ce patient soit admis dans notre service, mais nous n’avons pas de lit. Ce patient va donc rester dans votre service d’urgence.
Il s’agit d’une mauvaise prise en charge au mauvais endroit et au mauvais moment. Il est amplement démontré que les patients qui demeurent au service d’urgence, en particulier lorsqu’ils sont admis, ont des résultats négatifs, une morbidité et une mortalité accrues, et les données le confirment. Nous le savons.
De plus, il y a beaucoup de patients aux étages de l’hôpital à qui nous ne pouvons pas donner congé. Pourquoi ne pouvons-nous pas leur donner congé? Parce qu’il n’est pas sécuritaire de leur donner congé, car ils n’ont pas d’endroit où aller.
On voit donc que ce problème se transforme rapidement en un problème bien plus grave qui ne repose pas sur les soins d’urgence. Mais le service d’urgence est le seul service qui ne ferme jamais. Nous ne pouvons pas dire non. Nous ne pouvons pas refuser un patient. Nous ne fermons pas nos portes et nous continuons à nous battre. Cela conduit à l’épuisement professionnel, à une baisse des effectifs, à des fermetures, etc. Ainsi, si vous fermez un service dans une petite ville, le patient malade se rend dans la ville voisine, où le service est déjà surchargé, et il reste dans la salle d’attente pendant 15 heures, et c’est ainsi que le cycle se poursuit.
Et ce cycle n’a cessé de s’emballer depuis des années, au point qu’il est désormais évident que des gens meurent à cause de cela.

Avis Favaro
Cela doit être frustrant. Que ressentez-vous en regardant ce qui se passe?

Dr Fraser Mackay
Il s’agit d’une réponse ironique. Je me sens un peu stimulé par le fait que les choses vont si mal que nous sommes maintenant en mesure d’apporter des changements, car tout le monde sait à quel point la situation est grave. Les gens meurent publiquement parce que nos systèmes provinciaux et nationaux n’ont pas su s’adapter à la situation actuelle.

Avis Favaro
J’ai su que des médecins de Surrey, en Colombie-Britannique, ont envoyé une lettre aux gens leur demandant d’éviter leur service d’urgence parce qu’ils ne pourraient peut-être pas les aider. Certaines provinces ont même envoyé des suggestions aux gens : ne vous rendez pas à l’urgence, à moins d’y être absolument obligé. Le message semble être que si l’on réduit la pression sur le système d’urgence, tout ira bien.

Dr Fraser Mackay
Je vous mets donc au défi de revenir sur ce point. Les gens déclarent leurs propres urgences. Et si un politicien, un administrateur ou toute autre personne souhaite faire passer le message qu’il ne faut pas se rendre au service d’urgence, il doit alors proposer une solution de rechange.
L’autre problème majeur, une sorte de problème philosophique, la nature même de la médecine d’urgence, c’est qu’il faut être prêt à faire face à des problèmes inattendus. Il faut être capable d’encaisser un tel désastre. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous avons perdu cela. On pense que si un lit est vide, il faut le remplir.
Et cela va à l’encontre du principe fondamental du service d’urgence. Nous ne devrions jamais être à 100 % de nos capacités. Et pratiquement tous les services dépassent régulièrement cette capacité. Nous n’avons donc pas la capacité d’absorber une mauvaise situation. S’il y a un accident d’autobus, une nouvelle pandémie et que tout à coup, du jour au lendemain, 50 personnes arrivent gravement malades, des gens mourront parce que nous n’avons pas cette capacité.

Avis Favaro
Je comprends que bon nombre des patients hospitalisés dans les lits d’hôpitaux qui doivent être déplacés sont souvent des patients âgés ayant besoin d’un niveau de soins alternatif, soit des soins de longue durée, soit des services à domicile, par exemple. Cela signifie-t-il que, d’une certaine manière, les hôpitaux sont devenus de facto des centres de soins infirmiers?

Dr Fraser Mackay
Tout à fait. À mon avis, le plus gros problème est probablement le nombre de patients admis qui attendent d’obtenir leur congé pour aller vivre dans un milieu de vie approprié. Et il y a de plus en plus de patients qui n’ont pas le soutien à domicile dont ils ont besoin ou qui ont besoin d’un niveau de soins plus élevé. Et je dirais que c’est probablement le principal facteur de saturation des lits d’hôpitaux.
En outre, le Canada a un ratio lits d’hôpitaux/population déplorablement bas, qui n’a cessé de diminuer malgré l’augmentation de la population. Il y a donc aussi cela.

Avis Favaro
Je vais donc faire de vous le roi des soins de santé au Canada, le roi de la médecine d’urgence. Dites-moi les 3 ou 4 choses que vous feriez le plus rapidement possible pour clarifier la situation afin que les patients puissent être vus assez rapidement, que les bonnes personnes reçoivent les bons soins au bon endroit.

Dr Fraser Mackay
Les 3 choses les plus importantes.

Avis Favaro
Vous pouvez en faire 4, vous pouvez en faire 5. Mais que faudrait-il pour cela?

Dr Fraser Mackay
En bref, comme nous venons de le dire, j’élargirais l’accès aux niveaux de soins plus élevés en dehors de l’hôpital. Donc les centres de soins infirmiers, les soins de soutien et les services à domicile. Ce serait la première chose.
Deuxièmement, j’augmenterais de façon significative le nombre d’infirmières et de médecins formés pour des emplois spécifiques. Par exemple, en médecine familiale et en médecine d’urgence, qui sont les 2 problèmes majeurs du pays à l’heure actuelle.
Et troisièmement, je créerais un système de santé intégré. Voilà un concept qui semble bien simple. N’est-ce pas? Mais il n’y a pas de système de santé. Je tiens à être clair sur ce point. On a l’impression qu’il y en a un, mais en réalité il n’y en a pas. Et tant que cela ne changera pas, nous ne pourrons pas faire face aux problèmes inévitables d’une population croissante, vieillissante et complexe et à ses besoins en matière de santé.

Avis Favaro
Que signifie la troisième chose? Que signifie pour vous un système de santé harmonisé? Qu’est-ce qu’il viendrait améliorer?

Dr Fraser Mackay
Cela signifie que nous avons besoin de courage politique. L’Association canadienne des médecins d’urgence a créé le groupe de travail EM:POWER sur l’avenir des soins d’urgence au Canada. Mais c’est bien plus que des soins d’urgence. Il s’agit de soins intégrés.
Nous demandons depuis longtemps la tenue d’un forum national sur les soins de santé. Cela ne s’est pas produit. Nous allons donc l’accueillir. Nous allons commencer à le financer pour que tout le monde se mette d’accord sur les problèmes, sur les orientations à prendre pour commencer à créer un système qui soit réellement intégré, qui utilise des preuves et des données, comme celles dont dispose l’ICIS, et qui utilise ces données pour commencer à planifier à long terme.
Il s’agit de se mettre d’accord sur les questions, sur les problèmes, et de concevoir un cadre de responsabilité aux niveaux provincial et national, car il n’y a pas vraiment de responsabilité dans le domaine des soins de santé. Et jusqu’à ce que cela se produise, nous resterons coincés dans ce cycle politique de 4 ans de promesses vides de sens, de petits, minuscules changements qui ne semblent pas avoir d’effets positifs, comme nous le voyons dans l’état actuel des choses.

Avis Favaro
Parce que les gens pensent qu’il s’agit des urgences. La médecine d’urgence est en train de s’effondrer.

Dr Fraser Mackay
Oui. Il y a des problèmes en médecine d’urgence, principalement parce que le travail est devenu si difficile que nous avons un manque de personnel. Mais les principaux problèmes, encore une fois, les 30 patients admis dans mon service, ce n’est pas un problème d’urgence. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour eux. Nous faisons plus que ce que nous devrions faire pour eux, plus que ce que nous sommes formés à faire pour eux.
Et cela dépasse les compétences du service d’urgence. Cela doit se faire en amont. Il faut qu’il y ait des lits à l’hôpital. Les patients doivent pouvoir obtenir leur congé de l’hôpital. Dans de nombreux endroits, vous ne pouvez pas obtenir votre congé le vendredi à 17 h; vous devrez attendre au lundi parce que le système qui accorde les congés fonctionne du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h.
Ces concepts sont tellement désuets. Ils sont tellement dépassés. Il n’y a aucune excuse à cela. Mais il n’y a personne au volant.

Avis Favaro
Toutes les provinces ont déclaré qu’elles s’attaquaient à ce problème. Le gouvernement fédéral a mis en place un fonds supplémentaire pour la médecine d’urgence. Voyez-vous des signes indiquant que l’on s’intéresse à ce problème?

Dr Fraser Mackay
Je vois beaucoup d’initiatives formidables à très petite échelle un peu partout. Mais elles sont de petite taille. Elles sont temporaires. Ce sont des pansements. Il ne s’agit pas d’un développement de système à grande échelle.
Je n’attaque donc personne. Parce que, comme je l’ai dit, je ne crois pas qu’il y ait de système de santé; par conséquent, il n’y a personne à attaquer. Et je ne blâme pas les politiciens ou les partis politiques parce qu’il n’y a pas de système que nous puissions activement peaufiner et soutenir. C’est là le problème.

Avis Favaro
Qu’espérez-vous?

Dr Fraser Mackay
J’espère que le forum national sera un succès et qu’il réunira suffisamment d’acteurs de tout le pays au même endroit et au même moment. J’espère que les gens en repartiront en reconnaissant que nous avons la capacité de faire face à ces problèmes, si nous travaillons ensemble, s’il y a un accord, s’il y a un engagement politique et du courage pour dire que, oui, ce n’est pas un problème insurmontable.

Avis Favaro
C’est ce que vous espérez faire. D’accord. Quelle est votre plus grande crainte?

Dr Fraser Mackay
Toujours la même. Ma plus grande crainte est que, dans 5 ans, je me dise que je ne peux plus faire ça parce que la situation ne s’est pas améliorée, et qu’elle a empiré. Et je dois prendre soin de moi, prendre soin de ma famille. C’est drôle, je suis devenu un peu émotif, ce qui n’est pas grave. Mais, oui. Cette crainte que ce problème ne puisse être résolu. Nous pouvons améliorer les choses. Je ne voudrais vraiment pas penser que nous avons abandonné.

Avis Favaro
Quelle émotion avez-vous ressentie?

Dr Fraser Mackay
J’ai failli penser que je n’y arriverais pas. Je sais ce que l’on ressent et je ne reprocherai jamais à quelqu’un de s’éloigner.

Avis Favaro
Vous avez ressenti de la tristesse.

Dr Fraser Mackay
J’ai été submergé. Complètement dépassé. Je sais ce que l’on ressent. J’ai une excellente structure de soutien. J’ai une vie formidable. J’ai un excellent travail. Et malgré cela, j’ai été submergé.

Avis Favaro
Je sais que vous devez commencer votre quart sur cette note. Je tiens à vous remercier pour votre franchise et pour vos réflexions. Au moins, cela donnera aux Canadiens une idée de ce qu’il faut rechercher. Nous saurons donc que cela fonctionne si nous commençons à observer certains des éléments dont vous avez parlé.

Dr Fraser Mackay
Espérons-le.

Avis Favaro
Oui. D’accord. Merci encore, Dr Mackay, et bonne journée!

Dr Fraser Mackay
À toutes et à tous, merci.

Avis Favaro
Des études montrent que des délais d’attente plus longs à l’urgence entraînent de moins bons résultats et un risque plus élevé de décès. Il existe beaucoup plus de données sur l’état des soins d’urgence. Consultez le site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé, sur icis.ca, i-c-i-s point c-a. Et nous aimerions que vous nous disiez si vous avez été touchés.
Merci d’avoir pris le temps de nous écouter.
Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein, avec l’aide de notre adjointe à la production, Heather Balmain. Nous saluons Alya Niang, qui anime notre balado en français.
Abonnez-vous au Balado d’information sur la santé au Canada et écoutez-le sur la plateforme de votre choix.
Ici Avis Favaro. À la prochaine!
 

Si vous avez un handicap et aimeriez consulter l’information de l’ICIS dans un format différent, visitez notre page sur l'accessibilité