Les infirmières praticiennes au Canada — Cindy Fehr et Stan Marchuk

27 min | Publié le février 2 2023

Le recours accru aux infirmières praticiennes est l’une des solutions les plus souvent envisagées pour atténuer la pénurie continue de médecins de famille au Canada, surtout dans les collectivités rurales et éloignées. Selon les données de l’ICIS, il y a environ 8 000 infirmières praticiennes au Canada, et leur nombre est en hausse. Toutefois, ces dernières se heurtent à des obstacles pour ce qui est de leur rémunération, de leur niveau d’autonomie et de la supervision par un médecin. L’animatrice Avis Favaro est accompagnée de Cindy Fehr, infirmière praticienne et présidente-directrice générale de la Nurse Practitioner Association of Manitoba, et de Stan Marchuk, infirmier praticien en soins aux familles de la Colombie-Britannique et titulaire d’un doctorat en pratique infirmière. Ensemble, ils discutent des champs d’activité des infirmières praticiennes, de leurs besoins et du plan visant à accroître leurs effectifs.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Avis Favaro

Vous ne trouvez pas de médecin de famille? Vous n’êtes pas seul. Quelque 6 millions de Canadiens n’ont pas de médecin et dépendent des consultations sans rendez-vous, des soins virtuels ou du service des urgences le plus près pour obtenir des soins médicaux, quand ils en obtiennent.

C’est pourquoi les appels se multiplient pour augmenter le nombre d’infirmières et d’infirmiers praticiens dans tout le pays.

Le balado d’aujourd’hui porte sur la façon dont la profession d’infirmière praticienne et d’infirmier praticien est en train de devenir l’une des professions de la santé dont la croissance est la plus rapide au Canada.

Stan Marchuk

Je dirais que notre croissance est de 10 à 12 % par an.

Avis Favaro

Comment des infirmières praticiennes ont évité la fermeture d’un hôpital rural du Manitoba.

Cindy Fehr

C’est une crise des soins de santé primaires. Nous avons besoin de plus de monde et de plus de professionnels de la santé pour fournir un accès aux soins primaires dans tout le pays.

Avis Favaro

Bonjour et bienvenue au balado d’information sur la santé au Canada. Nous l’appelons CHIP, en anglais. Je suis Avis Favaro, et j’anime cette discussion.

Remarque : Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’ICIS, mais il s’agit d’une discussion libre et ouverte. Cette émission porte sur les infirmières et infirmiers praticiens, une solution à un système de santé soumis à de fortes pressions, et sur ce qui les empêche d’être plus nombreux à s’occuper des patients orphelins partout au Canada.

Stan Marchuk, infirmier praticien à Vancouver et président de l’Association des infirmières et infirmiers praticiens du Canada, se joint à nous aujourd’hui.

Bonjour, Stan.

Stan Marchuk

Bonjour, Avis.

Avis Favaro

Et elle se joint à nous depuis Swan Lake, au Manitoba : Cindy Fehr. Elle est également infirmière praticienne et directrice générale de la Nurse

Practitioner Association of Manitoba. Et vous entendrez son histoire plus tard.

Bonjour, Cindy.

Cindy Fehr

Bonjour, Avis. Bonjour, Stan.

Avis Favaro

Bonjour. J’aimerais commencer par vous, Stan. Quand j’ai dit à mon mari que nous faisions un balado sur les infirmières et infirmiers praticiens, je lui ai demandé : « Sais-tu ce qu’ils font? ». Et il m’a répondu : « Je ne sais pas. » À votre avis, combien de Canadiens savent ce que font les infirmières et infirmiers praticiens?

Stan Marchuk

Il est probable qu’un bon pourcentage de Canadiens ne savent pas ce que font les infirmières et infirmiers praticiens. Seuls ceux qui ont eu l’occasion de faire affaire avec eux le savent.

Avis Favaro

J’ai découvert que les premières infirmières praticiennes sont apparues en 1967 au Canada. C’était il y a 50 ans. Mais beaucoup de gens ne savent pas ce que vous faites. Pourquoi, Stan?

Stan Marchuk

Si on remonte aux années 60 et qu’on examine les raisons historiques de l’apparition de ce rôle, on constate qu’il a été créé pour les Canadiens qui vivaient dans les régions rurales ou éloignées du Canada et qui n’avaient pas accès aux soins de santé.

Ce n’est donc que dans les années 1990 que la profession a vraiment connu un essor dans le pays.

Et comme nous le savons tous, dans le climat actuel, où l’accès aux soins primaires pose de gros problèmes, les infirmières praticiennes sont les personnes toutes désignées pour aider à résoudre ce problème.

Avis Favaro

Alors, je vais aller voir du côté de Cindy. En tant qu’infirmière praticienne, que faites-vous pour soigner les patients? Et quelle est la différence entre une infirmière et une infirmière praticienne?

Cindy Fehr

Nous commençons tous en tant qu’infirmière et infirmier. C’est la base de l’exercice de la profession d’infirmière praticienne : il faut avoir un diplôme de l’école des sciences infirmières, détenir une expérience clinique d’au moins 2 ans (équivalent temps plein) et s’inscrire à un programme pour devenir infirmière ou infirmier praticien.

Le programme d’études supérieures prend de 2 à 3 ans à temps plein et environ 5 ans à temps partiel. Et ensuite, nous passons à la pratique.

Nous n’étudions pas la médecine dans le but d’avoir un diplôme en médecine, mais nous apprenons les bases de la médecine appliquées à la pratique des soins de santé.

Stan Marchuk

Les infirmières et infirmiers praticiens diagnostiquent divers problèmes de santé. Ils prescrivent des médicaments. Ils prescrivent des tests diagnostiques et des analyses. Ils font appel à des spécialistes lorsque cela est nécessaire. Ils font partie de l’équipe de soins. Il s’agit donc d’un rôle à part entière qui, à mon avis, est très sous-utilisé dans notre pays.

Avis Favaro

Tout à fait. Alors, aidez-moi à comprendre où ce rôle se situe dans l’échelle des soins de santé. Parce que vous avez mentionné beaucoup d’éléments que peuvent aussi faire les médecins.

Stan Marchuk

Nous ne sommes pas des médecins. Non. Nous ne portons pas ce titre et nous ne sommes pas formés en tant que tels. Mais nous partageons certaines connaissances et compétences. Il y a un chevauchement dans la pratique.

Avis Favaro

D’après les données de l’ICIS, il y en a environ 7 400 dans tout le pays. Où se trouvent-ils?

Stan Marchuk

La majorité, je dirais, travaille dans le domaine des soins primaires, dans une clinique offrant des soins primaires.

Avis Favaro

Et les cliniques de médecine familiale?

Stan Marchuk

Oui. Des infirmières ou infirmiers praticiens dirigent certaines de ces cliniques tandis que d’autres font partie d’une équipe ou d’une structure plus importante. Certains sont intégrés dans les structures d’autorités sanitaires ou de systèmes de santé.

Avis Favaro

Assistent-ils les médecins? Ou bien prennent-ils la place des médecins dans certains cas?

Stan Marchuk

Il ne s’agit pas nécessairement d’aider ni de remplacer qui que ce soit. Je pense qu’ils sont des alliés dans le système. Les infirmières et infirmiers praticiens vont donc, tout comme les médecins, inscrire leurs propres patients. Et ainsi, ils peuvent avoir leur propre cabinet. Et lorsqu’une affection ou un problème ne relève pas de leur champ d’action ou de leur pratique, ils orientent leurs patients vers un spécialiste pour bénéficier de ses connaissances et de son expertise, tout comme le ferait un médecin de famille.

Avis Favaro

Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette pratique?

Stan Marchuk

J’ai été infirmier pendant environ 17 ans. J’ai toujours voulu en faire plus pour les patients. J’ai donc décidé de me lancer. Je voyais que les gens n’avaient pas accès aux soins dont ils avaient besoin. Et je sentais qu’il y avait une occasion pour moi.

J’ai vu ce en quoi consistait la profession lorsque j’ai rendu visite à une collègue aux États-Unis qui était infirmière praticienne, et j’ai eu la piqûre.

J’ai pu constater que je pouvais utiliser mes connaissances en soins infirmiers.

Avis Favaro

Tout à fait. Et, Cindy, y a-t-il eu un moment où vous avez compris que vous vouliez en faire plus, mais sans devenir médecin?

Cindy Fehr

Tout à fait. Et c’était l’occasion d’aller à l’école de médecine. Mais je n’ai pas... j’aime vraiment les soins infirmiers. C’est une véritable passion pour moi, ce lien étroit avec les patients.

Pour ma part, je m’intéressais aux soins dans le cas de maladies, et je voulais travailler en prévention et promouvoir le mieux-être.

Avis Favaro

Qu’entend-on par « soins dans le cas de maladies »?

Cindy Fehr

Je me suis dit : « Et si nous faisions marche arrière et que nous les aidions à adopter de meilleures habitudes en matière de santé, à s’éduquer davantage pour pouvoir prendre en charge leur santé plus tôt, au lieu d’attendre que la maladie prenne le dessus? Comment est-ce que je peux aider les gens à rester en bonne santé plutôt que d’intervenir uniquement lorsqu’ils sont malades? »

Donc, c’est à ce moment que j’ai compris ce que je devais faire. Mais comment le faire en tant qu’infirmière? Et le rôle d’infirmière praticienne était l’occasion de me pencher sur les soins primaires et sur le modèle de mieux-être pour aider les gens à rester en bonne santé.

Avis Favaro

Qu’est-ce qui permet aux infirmières praticiennes d’axer davantage leur pratique sur cet objectif comparativement aux médecins?

Cindy Fehr

Premièrement, lorsqu’il s’agit d’un médecin rémunéré à l’acte, c’est le système qui détermine la manière dont il peut travailler. Les infirmières praticiennes sont essentiellement des employées ayant un salaire ou un salaire horaire. Et donc, à la suite de négociations avec nos employeurs, nous passons habituellement plus de temps avec nos patients. Ainsi, au lieu de passer 10 ou 15 minutes avec une infirmière praticienne, vous en passerez 20, voire 30 minutes.

Deuxièmement, nous disposons d’un peu plus de temps pour apprendre à connaître nos patients plus intimement. Nous les voyons au fil du temps pour une multitude de choses. Nous développons ainsi une relation, nous découvrons leurs besoins, nous leur fournissons de l’information parce que nous avons le temps de le faire. Nous considérons le patient d’un point de vue holistique et pas comme plusieurs petits morceaux dont nous nous occupons quand ils nous consultent.

Avis Favaro

Est-ce que des études ont montré que les infirmières et infirmiers praticiens offrent des soins différents ou de meilleurs soins?

Stan Marchuk

La profession fait l’objet de recherches depuis 50 ans. Elle a probablement été l’une des professions de santé les plus étudiées à cause de cette question qui a alimenté la controverse au fil des ans.

Et si nous examinons toutes les recherches qui ont été publiées, étude après étude, nous constatons que les soins dispensés par les infirmières et infirmiers praticiens sont équivalents, voire meilleurs, que ceux de nos collègues médecins. Et les patients sont très satisfaits des soins que nous leur prodiguons.

Avis Favaro

Vous avez qualifié la question de controversée, cependant. Pouvez-vous expliquer en quoi elle est controversée?

Stan Marchuk

Je dirais qu’il s’agit d’une controverse simplement parce que notre système de santé actuel repose malheureusement sur un système de rémunération à l’acte, axé sur le volume. Et il y a toujours une préoccupation à savoir qui sera payé et combien il sera payé.

Les infirmières et infirmiers praticiens ne sont pas rémunérés à l’acte au Canada. Ils sont rémunérés selon un modèle de contrat, un modèle horaire ou un salaire. Ainsi, notre mode de rémunération nous permet d’avoir cette approche holistique. Nous n’avons pas l’approche « un problème, une visite ». Disons, Avis, que vous venez me voir. Vous pouvez me parler de vos problèmes parce que vous avez assez de temps pour le faire, et que nous avons assez de temps pour explorer ce qui est important pour vous.

Avis Favaro

Donc, vous allez écouter la personne. Avez-vous le temps d’écouter la personne?

Cindy Fehr

Oui. Nous avons 2 oreilles et une bouche. C’est comme ça qu’on devrait faire : passer deux fois plus de temps à écouter plutôt qu’à parler. Il se peut donc qu’une personne arrive et nous parle de ses problèmes de santé mentale. Comment parvient-on en 10 minutes à gérer une crise de santé mentale? Ou à aider une personne qui a des problèmes financiers qui l’empêchent d’acheter les médicaments dont elle a besoin pour rester en bonne santé ou de participer à des séances de counseling?

La santé, c’est tellement complexe. Une visite de 10 minutes ne rend service à personne. Et c’est irrespectueux parce que les gens sont plus que ça.

Mais si vous venez simplement pour un vaccin, ça peut être très rapide. Mais je profite aussi de l’occasion pour discuter de la santé en général.

Comment ça se passe pour vous? Comment se passe votre vie de famille? Comment vont vos enfants?

Avis Favaro

Ma question porte sur la pandémie de COVID-19. On dirait maintenant que tout le monde parle des infirmières praticiennes. On le constate en regardant les articles récents des différentes provinces : Terre-Neuve-et-Labrador cherche des infirmières praticiennes, tout comme le Nouveau-Brunswick et l’Ontario; le Québec vient de mettre en place des cliniques d’infirmières praticiennes à Montréal pour faire face à l’afflux de cas parce que les urgences sont débordées. Il me semble que la COVID-19, même s’il s’agit d’une crise, est devenue un appel pour avoir plus d’infirmières praticiennes.

Stan Marchuk

Très certainement. Par exemple, à l’époque de la pandémie de COVID-19, dans l’une de nos provinces, les infirmières et infirmiers praticiens, bien qu’ils ne soient pas reconnus pour fournir les soins, ont fourni des soins gratuitement parce qu’ils estimaient qu’ils devaient répondre aux besoins de leur collectivité.

Je pense simplement que c’est de cette façon que nous devons faire face à la situation. Et nous devons continuer à le faire.

Je pense aussi que nous devons continuer à dire aux Canadiens ce que nous faisons et comment nous le faisons.

Avis Favaro

Donc, Cindy, ça m’amène à votre récente expérience. Vous travaillez à Swan Lake et il y avait un hôpital, et vous me disiez que les 2 médecins qui y travaillaient sont partis. Et c’était au début de la pandémie.

Vous vous souvenez de ce que vous avez pensé quand vous avez entendu ça? Et ce que cela signifiait pour la collectivité?

Cindy Fehr

Je vis également dans la collectivité. Donc, c’était un choc pour moi. J’ai d’abord eu un moment de panique. Pour vous donner une idée, Swan Lake a une population d’un peu plus de 300 personnes, mais notre collectivité compte environ 3 000 patients, car il s’agit d’une région rurale agricole.

Avis Favaro

Il s’agit donc d’un service hospitalier très, très essentiel.

Cindy Fehr

C’est exact. L’hôpital compte 18 lits. Nous avions des services d’urgence complets et des patients hospitalisés. Cela a été un énorme choc. Et la campagne de recrutement n’a pas permis de trouver de nouveaux médecins. Il n’y avait rien à faire. Nous avions le choix entre tout fermer et redistribuer les services ailleurs dans la région ou envisager un nouveau modèle.

Sous la direction de notre médecin-chef, nous avons choisi d’aller de l’avant avec le modèle de gestion par des infirmières praticiennes pour notre hôpital et nos 2 cliniques de soins primaires.

Avis Favaro

Ce doit être l’un des rares hôpitaux du pays dirigé par des infirmières praticiennes.

Cindy Fehr

Eh bien, c’est le premier au Manitoba. Nous avons 5 postes d’infirmières praticiennes. Nous avons actuellement 4 infirmières praticiennes qui travaillent dans ce modèle et fournissent aux 2 cliniques des services de soins primaires et à l’hôpital des soins de convalescence transitoires, c’est-à-dire des soins légers.

Et puis, il y a les services de consultation externe. Donc, si quelqu’un a besoin de sang, nous l’aidons à obtenir du sang. Et nous sommes tous formés pour les soins d’urgence. Si quelqu’un a un accident vasculaire cérébral, nous pouvons le prendre en charge jusqu’à ce qu’il soit transféré vers les soins les plus appropriés.

Avis Favaro

Comment la collectivité réagit-elle à l’arrivée des infirmières praticiennes qui sauvent l’hôpital?

Cindy Fehr

Eh bien, il y a toujours des gens qui vont demander à voir un médecin. Pour certains, je suppose que c’est juste une question de tradition. Ils veulent toujours un médecin, mais ils sont très, très heureux d’avoir des infirmières praticiennes. Ils sont reconnaissants que nous ayons pu éviter la fermeture de l’hôpital et des cliniques.

Nous avons gagné le respect des membres de notre collectivité pour ça. Est-ce que tout est parfait? Non, le travail n’est pas terminé. Et comme il s’agit d’un nouveau modèle, il y a beaucoup de problèmes et nous apprenons à mesure que nous le développons. Mais avant tout, il s’agit de servir les collectivités pendant qu’elles reçoivent les soins dont elles ont besoin là où elles en ont besoin, et surtout à une époque où les ressources humaines sont manquantes.

Avis Favaro

Les infirmières et infirmiers praticiens pourraient-ils contribuer à renforcer le système de santé à l’heure actuelle?

Stan Marchuk

Très certainement. Vous savez, les infirmières et infirmiers praticiens doivent être intégrés dans le système de santé, point final. Les obstacles se situent surtout au niveau de l’accès au financement, et tout le monde essaie de trouver une solution. Il y a eu un certain nombre d’occasions ou d’initiatives différentes, des projets qui ont été testés à travers le Canada. C’est en 2017 à Sudbury, en Ontario, que la première clinique dirigée par des infirmières praticiennes a ouvert ses portes. C’était une idée très controversée dans la collectivité, mais c’est une clinique florissante qui fonctionne vraiment bien.

Avis Favaro

D’accord. Une idée controversée. Encore une fois, mais pourquoi? Est-ce parce que les gens voulaient des médecins et qu’ils n’étaient pas habitués à faire affaire avec des infirmières praticiennes?

Stan Marchuk

Exactement. Et il y avait un puissant lobby de médecins contre le projet.

Avis Favaro

Pourquoi ça, à votre avis?

Stan Marchuk

Je pense que nous savons tous que l’argent y est pour quelque chose et qu’il y a de nombreux défis à relever à cet égard. Comme dit un de mes collègues : il y a plus qu’assez de douleur et de souffrance pour tout le monde. Et la réalité est que nous devons supprimer la hiérarchie des soins de santé et les orienter davantage vers un modèle circulaire de participation et de collaboration. Il ne s’agit pas de faire en sorte qu’une personne en particulier s’occupe de tout. Ce n’est pas possible.

Les soins de santé sont bien plus complexes qu’ils ne l’étaient dans les années 60. De nouvelles avancées sont réalisées chaque jour; aucune profession ne peut arriver à se tenir au courant de toutes ces avancées. Nous devons donc travailler ensemble pour tenir compte de ces avancées.

Avis Favaro

Quand vous entendez que 6 millions de Canadiens ne reçoivent pas de soins médicaux primaires, êtes-vous frustrés?

Cindy Fehr

C’est une crise des soins de santé primaires. Nous avons besoin de plus de monde et de plus de professionnels de la santé pour fournir un accès aux soins primaires dans tout le pays. Les infirmières et infirmiers praticiens peuvent être formés rapidement, ou plus rapidement que leurs homologues médecins, et être intégrés plus rapidement dans le système. Nous pouvons être formés plus rapidement. Je n’aime pas faire de comparaison concernant le fait que nous ne sommes pas des médecins, mais que nous offrons un bon service. Nous sommes une bonne occasion de combler une partie des besoins des Canadiens en matière d’accès aux soins primaires en ce moment.

Stan Marchuk

Et nous, en tant que membres de l’Association des infirmières et infirmiers praticiens du Canada, avons fait pression pour que les infirmières et infirmiers praticiens aient un poste d’infirmière praticienne ou d’infirmier praticien. Bon nombre d’entre nous sont sous-employés dans certaines collectivités rurales, ce qui est une véritable tragédie.

Avis Favaro

Qu’entendez-vous par là? Vous voulez dire qu’il y a des infirmières et infirmiers praticiens qui ne travaillent pas comme infirmières et infirmiers praticiens?

Stan Marchuk

C’est exact. Oui.

Avis Favaro

Comment est-ce possible?

Stan Marchuk

Eh bien, si le système de santé ne crée pas de poste pour nous, infirmières et infirmiers praticiens, et que nous ne sommes pas autorisés à facturer à l’acte parce que ce type de rémunération n’existe pas pour nous, alors il arrive souvent que nous travaillions comme infirmières et infirmiers autorisés ou que nous ne travaillions pas du tout.

Donc, nous devons faire mieux. Nous devons nous assurer qu’il existe un mécanisme permettant de garantir que les infirmières et infirmiers praticiens, une fois diplômés, aient la possibilité de travailler dans leur domaine de compétence.

Avis Favaro

À votre avis, combien d’infirmières et d’infirmiers praticiens sont sous-employés ou n’ont pas d’emploi du tout?

Stan Marchuk

C’est une bonne question, car nous n’avons pas vraiment de bonnes données sur les ressources humaines en santé. D’après l’échantillonnage que nous avons effectué, au moins 10 à 15 %, voire plus de 20 %, des infirmières et infirmiers praticiens n’ont pas d’emploi.

Cindy Fehr

J’entends souvent dire qu’une infirmière, c’est une infirmière, et qu’on va simplement la changer de poste. Ça ne marche pas ainsi pour les infirmières et infirmiers praticiens. Nous travaillons en médecine de famille. Nous avons des listes de patients avec lesquels nous sommes en contact et qui restent en contact avec nous pendant des années et des années. Et puis, déplacer une personne pour l’affecter à un autre secteur, c’est rendre un mauvais service à ce groupe de patients.

Nous ne déplacerions jamais un médecin d’un cabinet de médecine familiale à un autre. Pourtant, dans le système, on nous voit encore comme des infirmières et infirmiers qui sont interchangeables. Nous devons changer cette mentalité pour qu’on respecte le rôle que nous jouons. Nous ne sommes pas des médecins, mais nous devons être traités avec le même respect que les médecins dans ce système de santé.

Avis Favaro

Une des expressions que vous aviez utilisées quand nous nous sommes parlé pour la première fois, Cindy, était « formez vos propres infirmières et infirmiers praticiens ».

Cindy Fehr

Comment allez-vous attirer une infirmière praticienne (ou un médecin) dans une petite collectivité rurale si elle ne connaît personne là-bas, et si elle a grandi et travaillé dans une grande ville? Ce n’est pas facile.

Les infirmières qui sont déjà là peuvent avoir envie d’aller étudier en vue de devenir infirmières praticiennes, puis elles vont revenir pour offrir des soins primaires ou faire partie d’un groupe offrant des soins primaires.

Il s’agit donc de former vos propres infirmières et infirmiers praticiens. Il ne s’agit pas de déplacer quelqu’un d’une collectivité à une autre, mais de développer réellement votre collectivité de dispensateurs de l’intérieur. Il faut donc les soutenir en les finançant, en leur versant un salaire pendant qu’ils vont à l’école et en veillant à ce qu’ils aient un poste à la fin de leurs études.

Stan Marchuk

Des articles publiés montrent que les infirmières et infirmiers praticiens qui vivent dans une collectivité et qui sont formés sont plus susceptibles de revenir dans cette collectivité et d’y rester pour la soutenir.

Avis Favaro

Que voudriez-vous que les gouvernements fassent pour qu’il y ait plus d’infirmières et d’infirmiers praticiens sur le terrain?

Stan Marchuk

Accorder une partie du financement directement aux infirmières et infirmiers praticiens. C’est aussi simple que cela.

Cindy Fehr

Oui. Ne vous contentez pas de l’injecter dans le système de soins de santé. Accordez les fonds directement aux infirmières et infirmiers praticiens.

Une grande part des budgets provinciaux concernent soit les médecins, soit les infirmières. Lorsque vous augmentez le nombre d’infirmières, une grande partie de ce financement est détournée vers le rôle d’infirmière autorisée ou d’infirmière auxiliaire autorisée.

Et c’est tout à fait juste; il y a aussi un besoin pour ces professions-là. Mais ça rend un mauvais service et, franchement, c’est un manque de respect envers les infirmières et infirmiers praticiens. Il faut que l’on reconnaisse l’importance de notre rôle et que des fonds nous soient réservés, qu’il y ait une certaine responsabilité quant au fait que cet argent sera dépensé pour les infirmières et infirmiers praticiens, et non détourné au profit des médecins ou du personnel infirmier autorisé. Des fonds doivent être affectés spécifiquement aux postes d’infirmières et d’infirmiers praticiens.

Avis Favaro

J’ai cependant entendu quelque chose d’intrigant, Cindy : au Manitoba, des infirmières praticiennes se lancent dans la pratique privée. Est-ce qu’il s’agit d’une tendance?

Cindy Fehr

Nous constatons donc qu’un plus grand nombre d’infirmières praticiennes quittent le système ou le quittent partiellement et proposent leurs services de manière indépendante aux personnes qui ont les moyens de payer pour ces services.

Ces personnes paient de leur poche pour ces services et les prix sont raisonnables. Les infirmières exploitent un créneau du marché ou du système de soins de santé, auquel les patients n’ont pas accès.

Stan Marchuk

Je voudrais simplement ajouter que le Manitoba n’est pas la seule province où on observe cette tendance. On l’observe aussi au Nouveau-Brunswick. À l’époque, il y avait des infirmières praticiennes diplômées, mais il n’y avait pas de postes dans le système de santé. Alors, elles ont ouvert leur propre cabinet et ont facturé leurs services aux patients parce qu’elles voulaient rester dans leur collectivité et fournir des soins aux gens.

Le gouvernement n’a pas aimé ça et n’aime toujours pas ça. Mais une fois de plus, si le gouvernement veut changer les choses, il doit s’attaquer au problème en créant des postes.

Si le système n’est pas fait pour vous, vous devez trouver un moyen de le contourner pour répondre à vos besoins. Je suis d’accord pour que les infirmières praticiennes fassent partie du système de santé. Mais comme vous le savez, la Loi canadienne sur la santé n’encadre pas la profession d’infirmière praticienne et d’infirmier praticien. La loi encadre les services hospitaliers et ceux donnés par les médecins. Si vous obtenez un diplôme d’infirmière praticienne, vous devriez avoir la possibilité de fournir des services de santé aux Canadiens.

Avis Favaro

Si quelqu’un écoute ce balado et qu’il n’a pas de médecin, comment peut-il trouver une infirmière praticienne?

Stan Marchuk

Certaines provinces ont un registre central, mais comme beaucoup de gens me l’ont dit, on peut attendre pendant des années et jamais n’avoir de nouvelles, ce qui n’est vraiment pas efficace.

Comme nous le savons tous, des personnes ont publié des annonces pour trouver un dispensateur, et nous l’avons également vu dans les médias.

Mais nous n’avons pas de procédure nationale qui nous permettrait de savoir qui est disponible.

Et je pense que, lorsque nous avancerons dans notre refonte ou dans l’amélioration des ressources humaines de la santé, nous chercherons à mettre en place un portail, un guichet unique où les gens pourront s’inscrire en vue d’obtenir les services d’un dispensateur, d’une infirmière ou d’un médecin dans leur collectivité. Tout ça n’existe pas actuellement.

Avis Favaro

J’ai entendu dire que les infirmières praticiennes sont prêtes à aider, mais qu’il y a quelques obstacles à franchir.

Stan Marchuk

Ces obstacles sont, dans l’ensemble, des obstacles de type politique ou gouvernemental qui doivent vraiment être surmontés. Parmi ces obstacles, il y a d’une part le financement des infirmières et infirmiers praticiens en ce qui concerne l’emploi, mais aussi l’éducation. Et il y a d’autre part la rétention. Il s’agit de s’assurer que nous pouvons continuer à les faire travailler dans le système et ne pas les épuiser.

Avis Favaro

Avez-vous de l’espoir?

Stan Marchuk

Absolument, j’ai de l’espoir. Je regarde l’historique et je vois que nous avons une croissance de 10 à 12 % par an.

Cindy Fehr

Je suis tout à fait d’accord. Je suis toujours pleine d’espoir pour l’avenir. Il est essentiel d’informer le public de ce que nous faisons afin qu’il puisse dire que c’est l’option qu’il souhaite et demander au gouvernement de créer davantage de postes d’infirmières praticiennes.

Avis Favaro

Très bien. Eh bien, je vais conclure notre discussion.

Je tiens à vous remercier, Cindy et Stan, de nous avoir parlé de la situation des infirmières et infirmiers praticiens au Canada. Et j’espère que les gens ont appris ce que font les infirmières et infirmiers praticiens. Merci à tous les deux.

Cindy Fehr

Merci pour cette occasion.

Stan Marchuk

Merci, Avis.

Avis Favaro

 

Des études montrent que la demande d’infirmières praticiennes devrait augmenter de plus de 50 % au cours de la prochaine décennie. Merci d’avoir participé à notre discussion. Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein. Un grand merci à Ieashia Minott et à Alya Niang, qui anime notre balado en français.

Si vous voulez en savoir plus sur l’Institut canadien d’information sur la santé, rendez-vous sur icis.ca, i-c-i-s point c-a, et abonnez-vous à notre balado sur la plateforme de votre choix.

Ici Avis Favaro. À la prochaine!

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