La fragilité au Canada — Dr Marcel Émond

Marcel Émond

32 min | Publié le 11 mars 2024

À mesure que la population canadienne vieillit, un nombre croissant de personnes devrait se retrouver en état de fragilité. Les personnes présentant une fragilité sont plus susceptibles d’être hospitalisées, d’avoir des séjours plus longs, de visiter les urgences, d’être réadmises à l’hôpital et d’y décéder. De nouvelles données révèlent que plus du tiers des adultes âgés hospitalisés au Canada sont à risque de fragilité. Dans cet épisode du Balado d’information sur la santé au Canada, l’animatrice invitée Jeanie Lacroix échange avec le Dr Marcel Émond, médecin urgentologue au centre de traumatologie de niveau 1 de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec — Université Laval et au Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval (CERSSPL-UL), à propos des méfaits de la fragilité et des solutions pour mieux protéger les adultes âgés à risque.

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcription

Jeanie Lacroix

À mesure que la population canadienne vieillit, on s’attend à ce qu’un plus grand nombre d’entre nous deviennent fragiles. Et la fragilité s’accompagne d’un risque plus élevé de se retrouver aux urgences, d’être hospitalisé avec des séjours plus longs et de nombreux adultes fragiles attendent des lits de soins de longue durée. Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi, déclare notre invité aujourd’hui, le Dr Marcel Émond.

Dr Marcel Émond 

Le système de santé actuellement doit considérer des voies alternatives à ces patients fragiles pour soit prévenir la fragilité, ou que s’il y a une détérioration un peu plus rapide, que les voies usuelles que sont le transport vers un centre hospitalier ou vers une ressource de soins aigus ne soient pas la seule alternative. Donc on va avoir besoin de tous les intervenants, et c’est le souhait que je veux, c’est que tous les intervenants soient formés à dépister cette fragilité.

Jeanie Lacroix

Un médecin urgentologue à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, en plus d’être chercheur au Centre de recherche sur les services de première ligne, Centre d’excellence du vieillissement, de même qu’au Centre de recherche du CHU du Québec/Université Laval. Il est membre du Canadian Frailty Network, qui a aidé à concevoir l’indice de fragilité en neuf points, dont nous parlerons. Il essaie maintenant de trouver rapidement des moyens de guider les hôpitaux alors qu’ils aident les patients fragiles à se rétablir et rentrer rapidement chez eux.

Bonjour et bienvenue au balado d’information sur la santé au Canada. Je m’appelle Jeanie Lacroix, l’animatrice de cette conversation. Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’ICIS. Mais il s’agit d’un débat ouvert, et celui-ci porte sur la fragilité. Comment la mesurer, comment mieux traiter ceux qui vivent avec elle et comment peut-être la réduire?

Bienvenue, Dr Émond, et puis merci d’avoir rejoint le balado. Nous parlons aujourd’hui de la fragilité. C’est une condition médicale dont on ne parle pas habituellement. Est-ce que tu pourrais nous dire pourquoi c’est important qu’on s’en parle?

Dr Marcel Émond 

Bien, je pense que c’est un sujet très important, Jeanie, pour les personnes âgées, de pouvoir un peu qualifier la fragilité. C’est quelque chose qui n’est pas fait de façon usuelle, comme tu m’en mentionnais, mais qu’on doit maintenant tenir compte, à la fois au niveau médical, mais au niveau sociétal, je pense.
La fragilité est un état qui pourrait perturber les soins des patients aussi, ou modifier les soins des patients, car la fragilité est maintenant incluse dans plusieurs outils de dépistage qui nous permettent de stratifier un peu les patients. Le vieillissement de la population au Canada, au Québec, ne se fait pas tous de façon similaire. Le vieillissement se fait à différents niveaux et à différentes vitesses.

Et donc, les états de fragilité nous permettent un peu de stratifier cette population-là. Et donc, c’est pour ça qu’on considère que depuis les dernières dix années, c’est vraiment intéressant à la fois pour l’étude de la population, les études scientifiques, mais surtout pour nous permettre d’adapter nos soins et de les rendre peut-être plus adéquats et plus spécifiques aux patients qu’on a devant nous, du côté clinicien, mais aussi au niveau des soins qu’on doit donner à domicile ou dans les soins aigus.

Jeanie Lacroix

Est-ce qu’on voit, vous remarquez que les taux de fragilité augmentent, qui touchent la catégorie médicale?

Dr Marcel Émond 

Bien, je pense que les taux effectivement augmentent. On le voit dans les études que le score de fragilité qu’on peut utiliser ou les pointages ont tendance à augmenter depuis les dernières années avec le vieillissement de la population. Il y a peut-être deux effets reliés à ça. La première chose, c’est que comme on en parle plus, on a tendance à peut-être mesurer un peu plus quelque chose qu’on ne mesurait pas avant. Et donc, en mesurant, on va placer des gens qui, selon nous, peut-être n’étaient pas si fragiles, mais en les mettant vraiment sur une échelle adéquate, sont plus fragiles qu’on le pensait.

Et aussi, le vieillissement de la population fait que nos personnes âgées depuis les dernières, on va dire 30 ans, ont tendance à vieillir plus longtemps et donc à atteindre des scores de fragilité plus élevés qu’on n’atteignait peut-être pas il y a une trentaine d’années quand notre population est plus vieillissante. Et qu’on le veuille ou non, ces scores de fragilité là plus élevés, où la fragilité est plus importante, n’étaient peut-être pas atteints par tout le monde. Il y avait peut-être, on pourrait dire, des décès avant d’atteindre ces scores de fragilité là.

Jeanie Lacroix

D’accord. Puis vous parlez des scores de fragilité. Alors, comment savoir si votre ami ou votre proche est fragile? Pouvez-vous décrire ça un peu plus pour nous?

Dr Marcel Émond 

Oui, il y a plusieurs pointages, échelles, qu’on peut faire de fragilité. Je vous dirais que celle qui est la plus utilisée au Canada, c’est le score de fragilité canadien ou en anglais le Canadian Frailty Scale qui a été développé par le Dr Rockwood il y a déjà plusieurs années. C’est une échelle qui est très intéressante parce que c’est une échelle qui est aussi visuelle et descriptive. Et donc, c’est utilisé maintenant de plus en plus en clinique. Et je vous dirais, depuis les cinq ou dix dernières années, c’est utilisé même dans les outils cliniques, dans les soins aigus à l’urgence et dans les soins primaires. Et donc, c’est disponible, c’est accessible pour la population aussi.

Et avec le descriptif, on est capable de pouvoir catégoriser notre ami, notre proche ou quelqu’un de notre famille qu’on voudrait catégoriser. Et nous, on peut le catégoriser aussi en tant que clinicien. Donc, c’est quand même utile pour parler d’un état et décrire cet état-là et probablement attacher une trajectoire de soins éventuellement avec ces patients.

Jeanie Lacroix 

On sait avec les données de l’ICIS qui sont récemment publiées que les patients fragiles sont trois fois plus susceptibles d’être des grands utilisateurs de lits d’hospitalisation, trois fois plus susceptibles d’être hospitalisés pendant un mois ou plus. Ils ont deux fois plus de chances d’être réadmis à l’hôpital ou des soins à longue durée. Alors, ça, ça nous dit, est-ce que c’est peut-être, il y a un lien entre ça puis l’hospitalisation puis les hôpitaux? Est-ce qu’il y a quelque chose qu’on peut faire avec ça au niveau hospitalier?

Dr Marcel Émond 

Oui, je pense que l’utilité des scores de fragilité ou de l’état de fragilité va de plus en plus être populaire dans les prochaines années. Par exemple, les outils de dépistage, soit du transport préhospitalier, de la paramédecine communautaire ou même à l’urgence pour l’investigation vont de plus en plus tenir compte de la fragilité. Cette fragilité-là va aussi être incluse pour des décisions partagées par rapport au niveau de soins et par rapport à l’évolution des patients dans notre système. Et donc, je pense que ça va être très important.

Effectivement, l’augmentation de la fragilité dans les dernières années vient ajouter une couche de complexité au niveau du système de santé. Le système de santé à la fois hospitalier, mais surtout le système de santé aigu, donc les premières lignes et les urgences, n’est pas conçu pour la population vieillissante parce que la fragilité, l’état de fragilité amène une complexité de soins qui n’est pas juste une spécialité. Donc, la médecine d’urgence initialement quand ça avait été conçu, les urgences qui ont été conçues, c’était, je donne un exemple, conçu pour, vous avez une entorse soudainement, vous êtes tombé, vous avez une entorse du genou, vous venez consulter pour voir si c’est une fracture, une entorse, donc un seul système.

Avec la fragilité qui est grandissante, les patients ont souvent une approche plus de multisystèmes et donc notre système des urgences n’est pas actuellement conçu, adapté, et c’est là que la fragilité va nous être très intéressante. Est-ce qu’un patient qui a un état vulnérable avec une grande fragilité devrait être conduit aux urgences s’il y a une situation détectée en préhospitalier qui est subaiguë, on va dire, quelque chose qui n’est pas nécessairement dangereux pour la vie ou pour la sécurité du patient, est-ce qu’il devrait être envoyé vers des ressources alternatives?

Et c’est là que les échelles de fragilité vont peut-être nous aider dans l’avenir. Il y a des travaux qui sont faits au Québec et au Canada sur : est-ce que les paramédics pourront utiliser ces échelles de fragilité éventuellement et dire « bon, ben c’est peut-être pas l’urgence que vous avez besoin, mais d’une approche alternative » , comme il se fait dans d’autres pays aussi en Europe, donc transporter des patients qui ont besoin de soins ou les orienter vers des ressources alternatives de soins subaigus ou première ligne qui sont plus adaptés à cette notion d’atteinte multisystème.

Et l’autre avantage c’est que ça permet aussi, l’échelle de fragilité, d’orienter les soins à l’intrahospitalier pour décider qui aurait besoin peut-être d’une investigation par rapport à d’autres parce que ça permet de stratifier. Et donc ça, ça va être utilisé. Il y a une règle canadienne qui vient de sortir justement pour les patients qui ont fait des chutes avec un traumatisme à la tête chez les aînés qui inclut l’échelle de fragilité en partie pour déterminer « bon est-ce que j’ai besoin d’imagerie et d’évaluation cérébrale » ou « bon, ben comme c’est un patient qui est robuste et qui n’a pas de critères, je peux le laisser aller sans être imagé. » Donc, diminuer les temps de séjour aussi.

Et actuellement le problème qu’on a, c’est qu’on a des gens qui arrivent fragiles dans un système qui est mésadapté et c’est pour ça que probablement ça vient ajouter la complexité des séjours prolongés.

Jeanie Lacroix 

Alors on voit les bénéfices que vous disiez avec la planification, les séjours qui sont réduits. Vous avez parlé des outils de dépistage. Est-ce qu’il y a aussi d’autres choses qu’on peut faire en formation, en gériatrie ou d’autres choses pour plus préparer le système pour la fragilité?

Dr Marcel Émond 

En effet, très bonne question. Je dirais que ce concept de fragilité là est discuté depuis peut-être une vingtaine d’années parmi les gens qui font de la recherche. Il est probablement beaucoup plus discuté du côté gériatrique. Mais maintenant, la population gériatrique n’est pas traitée seulement par des gériatres. Donc le vieillissement de la population fait en sorte que cette « vague argentée » (que je mets entre parenthèses ici) cette vague argentée fait que tout le monde, tous les professionnels de la santé doivent avoir, je pense, minimalement une formation et la fragilité est probablement la formation la plus intéressante à introduire dans les prochaines années pour aider à stratifier les patients qu’on a devant nous.

Parce que souvent des patients nous apparaissent peut-être un peu robustes quand on leur parle, mais quand on se met à catégoriser adéquatement avec des critères, on se rend compte que peut-être ils sont plus fragiles et ça permet une meilleure discussion, je parle à la fois avec le patient et avec la famille.

Et donc je pense que cette échelle de fragilité là est peut-être un indicateur, je parle de celle-là qu’on a discutée tantôt qui est le score canadien de fragilité, il va peut-être en avoir d’autres, mais le fait de faire cet état de fragilité là et ce constat à la fois pour les soutiens à domicile, pour les soins primaires, va être peut-être une utilité dans un objectif de préparer les patients, préparer les personnes âgées vers une transition de soins adéquats au lieu de se ramasser après un événement aigu dans un système mésadapté. On fait une chute, on se rend compte finalement que la fragilité est beaucoup plus importante parce qu’on ne l’avait pas mesurée et donc là on s’ensuit une cascade où le patient ne peut pas retourner à domicile parce qu’on n’avait pas vu venir cet état de fragilité. Et donc là, on est un peu dans un niveau de soins alternatif comme on dit. Donc les patients se ramassent hospitalisés, comme vous avez mentionné, pendant plusieurs semaines, le temps de réajuster.

Donc est-ce que ça fait partie d’un bilan de santé annuel qu’on devrait faire? Probablement que ça va être un état de santé qu’on va devoir mesurer, surtout au niveau des soins primaires, dans un objectif peut-être de préparer. C’est probablement quelque chose qui était fait en clinique par les gens qui font des soins primaires de façon un peu avec le jugement du clinicien, avec des éléments.

Ce qu’on vient rajouter en mettant des échelles de fragilité, c’est qu’on vient mesurer un peu comme on le fait pour les troubles cognitifs, à savoir que les troubles cognitifs, on a des instruments qui nous permettent de qualifier initialement s’il y a présence ou non de troubles cognitifs et après on peut suivre, avec les instruments, l’évolution du trouble cognitif. Donc je pense qu’éventuellement, il va falloir que dans les soins primaires, que ce soit par les soins infirmiers, par les soins des préposés à la maison ou par les médecins de famille ou les médecins qui sont à l’hôpital, qu’éventuellement cette catégorisation-là se fasse pour l’ensemble de nos patients qu’on voit en gériatrie et les patients vieillissants dans un objectif de mesurer, prévoir et utiliser ces scores-là pour améliorer nos trajectoires de soins.

Jeanie Lacroix 

Qu’est-ce qu’on devrait faire pour qu’il y ait moins autant de personnes fragiles à l’hôpital et puis ou dans les établissements de soins de longue durée, parce qu’ils doivent être à la maison ou aux soins à domicile? Est-ce qu’ils ont de meilleurs résultats quand ils sont dans ces domaines-là?

Dr Marcel Émond 

Ce qui est démontré, puis ça en vient de plus en plus, est que l’hospitalisation à domicile, effectivement, il y a de gros avantages. Il y a des avantages qui ont été avancés. Si on regarde beaucoup en Europe sur les données qui se font, en Europe, dans certains milieux comme en France, ils ont des unités mobiles de gériatrie qui tentent de maintenir à domicile les patients. Nous, au Québec, on a eu un projet de recherche pour lequel j’ai été évaluateur qui a fait une clinique alternative, mobile, avec de courts séjours hospitaliers et même éviter une hospitalisation pour les personnes âgées qui étaient vulnérables, donc qui avaient un état de fragilité.

Puis ce qu’on a démontré, c’est que les modèles alternatifs, dans cette étude qu’on a fait à Québec, qui s’appelle la clinique des aînés, quand on utilise une unité mobile, un plus court séjour hospitalier, les patients, c’est sécuritaire de le faire, les patients retournent à domicile, pas nécessairement pour être là pendant 10 ans, mais plus pour une période, un couple de mois, année supplémentaire, dans un objectif de pouvoir préparer peut-être une transition de soins. Les bénéfices sont quand même grands pour le système de santé.

Dans cette étude-là, on a diminué d’environ 15 jours l’hospitalisation en moyenne, sans nécessairement augmenter les retours à l’urgence, mais les patients vont peut-être revenir pour des situations aiguës, mais on n’augmente pas, donc c’est sécuritaire, et les patients n’ont pas nécessairement un déclin fonctionnel supplémentaire. Donc on transporte le phénomène d’hospitalisation vers une hospitalisation plus à domicile, ajouté à des soins à domicile qui sont déjà présents, et donc ces équipes-là mobiles, ou les équipes dédiées, vont probablement être un avantage dans les prochaines années, et ça va permettre vraiment aux patients d’avoir une meilleure transition de la maison, préparée avec des équipes de support mobile, vers par la suite une transition peut-être en milieu avec des ressources plus lourdes pour des soins personnels.

Jeanie Lacroix 

Alors il y a beaucoup de leçons ou des exemples dans d’autres pays où on apprend à comment mieux planifier et traiter la fragilité. Comme médecin d’urgence, est-ce que vous voyez fréquemment la fragilité dans votre hôpital? Est-ce que c’est quelque chose qui augmente?

Dr Marcel Émond 

Tout à fait, la réponse est que la fragilité est de plus en plus présente dans nos urgences. La population vieillissante fait qu’une grande partie des populations adultes qu’on traite maintenant, c’est des personnes âgées. On peut, dans certaines urgences, aller jusqu’à 30 à 40 % des patients qu’on voit sur civière ou à l’ambulatoire qui sont des personnes âgées, et beaucoup de ces patients ont à la fois une comorbidité importante, mais surtout un état de fragilité important.

À un point tel que l’état de fragilité est maintenant rendu dans l’échelle de triage canadienne des urgences. Donc si vous référez à l’échelle de triage canadienne qu’on utilise dans les urgences, que l’indicateur de fragilité chez le patient aîné est un modificateur de triage. Donc on l’utilise, l’échelle de fragilité, pour peut-être dépister des gens qui devraient être vus un peu plus rapidement. Ces patients, ces personnes âgées, ont peut-être souvent des conditions qui sont peut-être importantes, mais un peu masquées par leur état fragile ou le manque de contact ou de discussion qu’ils ont eus au préalable sur leur état, donc un peu plus un état caché. Et donc cet état de fragilité là qui est dépisté au triage permet aux infirmières maintenant d’augmenter.

Et donc on les voit de plus en plus dans nos urgences et c’est pour ça que je mentionnais que peut-être l’urgence n’est pas la place pour recevoir ces gens-là dans certaines conditions. Et donc les niveaux de soins alternatifs ou les méthodes alternatives de soigner ces patients-là vont être nécessaires parce que l’urgence, quand on les voit dans la situation actuelle de notre système santé canadien, on peut s’adapter à ces conditions-là de vulnérabilité, mais on a une limite parce qu’on est très bigarré. À moins de faire des urgences entièrement gériatriques, comme certains endroits aux États-Unis ont fait des urgences entièrement gériatriques qui ne reçoivent que des patients gériatriques, les urgences doivent répondre à un continuum de patients.

Et donc on ne pourra jamais avoir une urgence complètement adaptée, on va avoir des comportements adaptés et donc ça va rester que cet état de fragilité là va poser pour les patients à l’urgence aussi à la fois un état fragile qui peut causer des conséquences à des urgences. Et donc peut-être que dans un endroit mésadapté, cette fragilité-là devient à la fois un outil de dépistage, mais aussi un effet on va dire pervers pour le patient parce que les soins ne sont peut-être pas complètement dirigés vers ces patients fragiles là.

Jeanie Lacroix 

Alors c’est un problème complexe, il y a des coûts aussi, j’imagine, des coûts pour le système quand ils ne sont pas bien gérés, ces patients aussi?

Dr Marcel Émond 

Oui, parce que si on mesure, si on revient à votre question initiale, si on pouvait mesurer cette fragilité-là, en mesurant l’état fragile, on pourrait dire initial, qu’en la voyant se détériorer ou amplifier au niveau de la fragilité, on peut peut-être ajuster des ressources qui coûtent moins cher que de se ramasser à être hospitalisé de façon on pourrait dire urgente parce que, bon, on est rendu trop fragile.

Donc ces ressources-là qui préviennent peut-être d’aller vers des conséquences plus graves fait en sorte que je pense qu’à la fin, nos bénéfices d’investissement, le retour sur investissement précoce, va être plus grand que de pallier une fois que la situation est devenue on pourrait dire trop insoutenable ou dangereuse pour le patient. Et en utilisant les systèmes alternatifs, ça va peut-être nous permettre d’avoir moins de coûts parce que les systèmes actuels d'urgences hospitaliers génèrent des coûts plus lourds que peut-être des solutions plus simples ou en amont qui font qu’on est capable de prévenir ces déboursés finalement dans le système.

Jeanie Lacroix 

Pour la personne moyenne qui écoute le balado ou qui a un proche qui sont à risque de la fragilité, qu’est-ce qu’ils peuvent faire pour prévenir ou pour plus être au courant des risques?

Dr Marcel Émond 

Je pense que la première chose c’est que si vous avez un proche, un aîné qui est vieillissant, c’est un, première chose, de peut-être regarder l’échelle de fragilité canadienne que vous pouvez peut-être mettre disponible sur la page de la balado ou autre, et donc permettre ensemble de catégoriser cet état de fragilité là avec votre proche et pouvoir déjà ouvrir la discussion, parce que cet état de fragilité là permet déjà d’ouvrir une discussion sur quel est le niveau de soins des patients, qu’est-ce qu’on veut si éventuellement il y arrivait, avec l’état fragile, qu’est-ce qu’on veut s’il arrivait des fractures, qu’est-ce qu’il arriverait, des conséquences, parce que les états de fragilité sont quand même reliés, qu’on le dise ou non, à une augmentation du support qu’on doit donner et donc en qualifiant la fragilité, ça peut peut-être aussi ouvrir la discussion avec vos proches sur « est-ce qu’on a besoin de commencer à avoir besoin de support au domicile » parce que souvent c’est difficile.

C’est peut-être tabou pour les aînés de demander du support souvent, alors que si les proches arrivent « on fait un exercice, » un peu comme on ferait un exercice pour les troubles cognitifs, on a pris cet exercice-là depuis plusieurs années parce que les proches ont tendance à référer peut-être pour des patients qui ont des problèmes de mémoire plus facilement pour détecter des troubles cognitifs, la fragilité inclut souvent des troubles cognitifs, donc ces gens-là ont souvent un état fragile aussi associé, mais il y a des gens sans troubles cognitifs qui peuvent avoir un état de fragilité et donc je pense que c’est important d’avoir les deux en parallèle et on a tendance à peut-être ouvrir plus la discussion quand il y a des atteintes cognitives chez les patients donc pour les proches que quand c’est juste une atteinte de fragilité générale.

Il y a une différence entre dire « Bon, ma mère est vieillissante fait qu’elle perd des capacités, mais est-ce que cette perte de capacité là est normale pour son âge ou bien elle est vraiment dans un état fragile plus avancé » et c’est de là que je pense que les proches pourront utiliser ces genres d’outils là dans l’avenir, c’est de permettre d’ouvrir cette discussion-là pour « Est-ce qu’on est rendu à une étape d’avoir de l’aide peut-être à domicile pour rester à domicile » et de pouvoir préparer l’avenir finalement.

Jeanie Lacroix 

Puis il y a d’autres marqueurs aussi où on voit si les personnes à domicile ont de la compagnie parce que s’ils sont seuls, le risque peut augmenter, puis est-ce qu’il y a d’autres choses aussi avec l’activité physique ou la mobilité que les gens peuvent être au courant pour qu’ils puissent voir les signes, les marqueurs?

Dr Marcel Émond 

Oui, je pense que par rapport à la fragilité, un des outils qui est très démontré, il n’y a pas de pilule miracle pour arrêter la fragilité. Il n’y a pas de pilule miracle pour « regagner » . Donc faut oublier les états qu’on pourrait dire de traitement standard médical où vous allez voir un médecin, vous avez une infection, on vous donne un antibiotique, puis généralement l’infection va disparaître. L’état de fragilité comme j’ai dit au départ, c’est souvent multisystème.

Et ce qui a été démontré dans la littérature, ce qu’on a déjà étudié dans le passé, c’est si vous détectez cet état de fragilité, même à l’urgence on détecte un état de fragilité initial, le fait d’ajouter, on pourrait dire de l’exercice, physiothérapie, ergothérapie, bref une rééducation précoce, va vous permettre peut-être de limiter on pourrait dire l’évolution de la fragilité, la ralentir, la stopper complètement est peut-être impossible, mais au moins de ralentir cet état-là. Et donc je pense que pour les personnes âgées et vos proches ou les proches, ou si vous avez un proche qui est concerné, l’important c’est de rester actif.

Donc il y a plusieurs modalités potentielles dans les communautés, c’est de rester actif et aussi d’aller vers des notions de réadaptation. Donc tout ce qui est physiothérapie, tout ce qui est ergothérapie, tout ce qui est adaptation, tout ce qui est aussi kinésiologie, donc pour faire des programmes d’activité physique, vont être très utiles dans l’avenir pour contrer cette fragilité-là et en tout cas la limiter dans son évolution pour chacun des patients et personnes âgées qu’on va rencontrer au Canada.

Jeanie Lacroix 

Oui, alors c’est vraiment intéressant l’activité physique puis la mobilité, puis on est toujours en train d’améliorer notre santé. On voit aussi un des autres sujets brûlants sur ce domaine-là, c’est la résistance, l’entraînement en résistance. Est-ce que c’est une bonne preuve ou pas?

Dr Marcel Émond 

J’avoue qu’au niveau de l’entraînement en résistance, on a plusieurs données dans les dernières années qui effectivement nous démontrent que peut-être qu’il y a un bénéfice à le faire. Je ne suis pas un spécialiste complètement de l’entraînement en résistance, mais ce qu’on voit, c’est que ça fait partie des modalités qui sont explorées dans les dernières années au niveau de la recherche, de créer des programmes spécifiques. Et la technologie va probablement aussi aider, si on veut rajouter, c’est qu’il y a des programmes de physiothérapie à la maison qui peuvent se faire à distance avec la technologie maintenant, donc un peu comme si vous vouliez écouter un film sur votre plateforme préférée de visionnement, vous avez un peu une plateforme similaire qui vous donne la capacité de faire des exercices adaptés aussi, que ce soit des exercices d’entraînement en résistance ou autres, qui sont adaptés à votre condition.

La technologie va faire en sorte que je pense que les aînés du Canada vont avoir et du Québec vont avoir principalement d’autres modalités que les modalités standards d’aller dans un endroit pour faire leur entraînement ou pour faire leur mise en condition ou diminuer justement cette fragilité qui est en installation. Et donc, va falloir penser un peu à l’extérieur de la boîte, comme on dit en français, mais s’assurer qu’on regarde en marge qu’est-ce qu’on peut faire pour s’assurer que les patients à la maison, les patients qui sont en situation de vulnérabilité et de fragilité, vont avoir ces entraînements, que ce soit en résistance ou autres, selon les meilleures modalités qui sont convenues par la recherche scientifique, mais ça va être surtout l’accès qui va être intéressant à regarder.

Il va falloir se tourner, vu la quantité d’aînés à faire une rééducation, réadaptation, entraînement, on va se tourner vers des modèles alternatifs que les modèles standards qu’on peut voir d’aller en physiothérapie ou d’aller dans un cours d’entraînement standard. Et donc je pense que ça va être très intéressant à suivre au niveau du type d’entraînement, comment ça va se faire au niveau de la perception et de la réception et comment on va aussi livrer cet entraînement-là vers les gens qui sont en fragilité.

Jeanie Lacroix 

Dans votre espoir, qu’est-ce qu’on peut faire en court terme pour prévenir la fragilité? Parce que nous savons, basant sur les données de l’ICIS, les nombres augmentent, il y a des résultats qui ne sont pas bons. Qu’est-ce que le système peut faire en court terme pour adresser la fragilité?

Dr Marcel Émond 

Je pense que la première chose, comme on fait actuellement, c’est d’en parler pour que les gens reconnaissent. C’est le même phénomène qu’on a eu avec les troubles cognitifs, qu’on prenne la maladie Alzheimer. Quand ça commençait à être discuté, les gens ont porté beaucoup plus d’attention à leurs proches par rapport à l’installation de troubles cognitifs. Et donc je pense que dans ce contexte-là, le fait d’avoir un phénomène, d’ouvrir que le concept de vieillissement existe, qu’on a un vieillissement qu’on pourrait dire normal, qu’on a certains vieillissements qui sont plus fragiles ou qu’il y a un état de fragilité accru, et de pouvoir dépister ces gens-là va faire en sorte que déjà on va augmenter la capacité de mieux traiter, de mieux orienter ces gens-là peut-être de façon précoce. C’est la première chose.

Deuxième chose, il faut trouver des voies alternatives, comme j’ai mentionné. C’est-à-dire que le système de santé actuellement doit considérer des voies alternatives à ses patients fragiles pour soit prévenir la fragilité ou que s’il y a une détérioration un peu plus rapide, que les voies usuelles que sont le transport vers un centre hospitalier ou vers une ressource de soins aigus ne soient pas la seule alternative.

Donc on va avoir besoin de tous les intervenants, c’est le souhait que je veux, c’est que tous les intervenants soient formés à dépister cette fragilité, que ce soit les préposés, que ce soit les infirmières, que ce soit en résidence, que ce soit les proches aussi qui peuvent le faire parce que les échelles ne sont pas compliquées à appliquer, c’est du descriptif et des critères qu’on peut cocher, mais aussi que les intervenants, par exemple les paramédics, commencent à aider, parce qu’ils sont souvent appelés, les paramédics sont ceux qui font le plus de visites à domicile probablement quasiment au pays, en allant dans les maisons et que ce soit appelé à utiliser les alternatives de soins et non pas juste aller vers un seul endroit et un seul modèle qui est bon, il y a eu un événement aigu, le seul modèle qu’on a c’est d’aller vers les urgences. C’est sûr que c’est un souhait de rapidement que le gouvernement, à la fois les gouvernements provinciaux et le gouvernement national ou canadien, mette en place des systèmes alternatifs pour ces patients avec une fragilité.

Après plusieurs années à faire de la recherche dans ce domaine, je pense que souvent je dis « l’idéal c’est qu’ils ne viennent pas à l’urgence » parce qu’une fois rendus dans les urgences, ces patients pour l’instant n’ont pas des soins adaptés. Il faut tenter d’adapter les soins en amont et continuer effectivement à adapter les soins dans les urgences, mais l’adaptation des urgences va être limitée du fait qu’on traite une population générale dans les urgences et qu’on doit en gros s’adapter à l’ensemble de la population, pas juste aux aînés et donc on n’aura jamais des soins parfaits pour nos aînés dans nos urgences. On va viser à les améliorer et donc il faut éviter le plus possible de transporter quand ce n’est pas des situations, on va dire dangereuses ou des situations qui pourraient mettre en péril la vie ou l’intégrité personnelle des patients.

Jeanie Lacroix 

C’est intéressant comme vous avez dit, c’est un problème à différents niveaux puis les solutions c’est à travers le système à tous les niveaux. Est-ce que vous avez d’autres points saillants ou choses à partager au niveau de la fragilité?

Dr Marcel Émond 

Je vous dirais que c’est un indicateur très intéressant qu’il faut penser que, oui les patients qui vieillissent ont le droit d’avoir un vieillissement naturel, mais que le vieillissement a différents niveaux de vitesse et donc c’est pour ça que le concept de fragilité est intéressant à introduire un peu partout dans la population.

On voit surtout avec l’arrivée des baby-boomers dans les 65 ans et plus que le portrait des personnes âgées de 65 ans et plus, parce que ça reste encore notre guide pour reconnaître une personne aînée, 65 ans et plus, que nos baby-boomers qui sont arrivés de 65 ans et plus n’ont pas le même niveau de fragilité peut-être que les patients de 65 ans il y a 20 ans. Il y a 20 ans, les patients de 65 ans ont maintenant 85 ans, mais probablement que leur niveau de fragilité, si on l’avait mesuré, était fort différent et c’est pour ça que c’est intéressant de s’adapter parce que parmi nos jeunes patients âgés de 65 ans, on va dire à jusqu’à 75, il y en a parmi ceux-là qui ont un état de fragilité qui s’est installé et d’autres qui sont, on va dire robustes, et on ne pourra pas donner les mêmes soins aux mêmes patients.
Donc je pense que c’est le souhait, c’est qu’on commence à regarder des soins spécifiques aux patients avec des échelles adaptées et un guide un peu de l’évaluation en fonction de la fragilité.

Jeanie Lacroix 
C’est très important pour l’expérience des patients aussi quand on parle dans ce contexte-là aussi, alors c’est vraiment un point intéressant. Merci beaucoup, M. Émond, d’avoir rejoint notre discussion. J’apprécie vraiment que vous partagiez vos idées, votre dévouement dans ce domaine important. Merci beaucoup.

Dr Marcel Émond 

Ça m’a fait plaisir, à une prochaine fois.

Jeanie Lacroix 

Saviez-vous que plus de 1,6 million de Canadiens âgés vivent actuellement avec une fragilité et que d’ici dix ans, ce nombre pourrait dépasser 2,5 millions? Nous avons un lien vers le rapport de ICIS sur la fragilité et l’indice de fragilité sur notre site Web à icis.ca, c’est icis.ca.

Merci d’avoir rejoint notre discussion. Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein. Un merci spécial à Heather Balmain et un merci à Alya Niang, l’animatrice régulière de ce balado, et à Avis Favaro, l’animatrice de notre balado anglais. Et veuillez vous abonner au balado partout où vous vous abonnez à vos podcasts.

Je m’appelle Jeanie Lacroix.

À bientôt.

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