La fragilité au Canada — Dr Kenneth Rockwood

Dr. Kenneth Rockwood

28 min | Publié le 21 février 2024

À mesure que la population canadienne vieillit, un nombre croissant de personnes devrait se retrouver en état de fragilité. Les personnes présentant une fragilité sont plus susceptibles d’être hospitalisées, d’avoir des séjours plus longs, de visiter les urgences, d’être réadmises à l’hôpital et d’y décéder. De nouvelles données révèlent que plus du tiers des adultes âgés hospitalisés au Canada sont à risque de fragilité. Dans cet épisode du Balado d’information sur la santé au Canada, l’animatrice Avis Favaro échange avec le Dr Kenneth Rockwood, professeur de recherche clinique sur la fragilité et le vieillissement à l’Université Dalhousie de Halifax, à propos des méfaits de la fragilité et des solutions pour mieux protéger les adultes âgés à risque.

Apprenez-en davantage sur le risque de fragilité.

Cet épisode est disponible en anglais seulement.

Transcription

Avis Favaro

La population canadienne vieillissant, un nombre croissant de gens deviendront fragiles, et la fragilité entraîne un risque accru de se retrouver aux urgences, d’être hospitalisé et de rester plus longtemps à l’hôpital. Et de nombreux adultes fragiles attendent un lit de soins de longue durée.

Mais il n’est pas nécessaire que les choses se passent ainsi, affirme notre invité d’Halifax, le Dr Kenneth Rockwood, spécialiste en gériatrie.

Ken Rockwood

Si la fragilité des gens était mieux prise en charge, il y en aurait moins qui voudraient aller en établissement de soins de longue durée ou qui se feraient dire qu’ils doivent y aller.

Avis Favaro

Il est membre du Réseau canadien de soins aux personnes fragilisées, qui a contribué à l’élaboration de l’échelle de fragilité clinique en 9 points, dont nous parlerons, et tente maintenant de trouver rapidement des moyens de guider les hôpitaux pour aider les patients fragiles à se rétablir et à rentrer chez eux rapidement.

Ken Rockwood

La première chose à faire est de mieux reconnaître la maladie chez les personnes fragiles. Nous devons améliorer la gestion de la maladie. Et nous devons améliorer les soins hospitaliers de routine, qui sont inutilement risqués.

Avis Favaro

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Nous l’appelons CHIP, en anglais. Je suis Avis Favaro, et j’anime cette discussion.

Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’ICIS, mais il s’agit d’une discussion ouverte, qui porte sur la fragilité, la façon de la mesurer, de mieux traiter les personnes qui en sont atteintes et, peut-être, de la prévenir.

Bienvenue, Dr Rockwood. Merci d’être des nôtres.

Ken Rockwood

Il n’y a pas de quoi.

Avis Favaro

Nous allons parler de la fragilité. La fragilité est un problème médical. On ne parle habituellement pas de ce problème. Pourquoi est-il important d’en parler?

Ken Rockwood

Il est important de parler de fragilité. Si nous n’en parlions pas, nous n’aurions aucun moyen d’évaluer les différents stéréotypes liés à l’âge. Des exemples de stéréotype : la personne de 80 ans qui sort courir ou encore la personne de 80 ans qui est allongée dans son lit, mourante. Et ces 2 situations s’appliquent à des personnes de 80 ans. Les 2 sont vraies.

Ce n’est donc pas l’âge qui est l’élément important de ce que nous observons avec le vieillissement de la population. Il s’agit de savoir si les gens se portent bien, s’ils sont en forme ou s’ils sont fragiles. La raison pour laquelle nous parlons de fragilité est que nous pouvons la mesurer. On peut parler de degrés de fragilité. Une personne peut être en pleine forme, mais une personne peut être très fragile.

Avis Favaro

Avez-vous remarqué que les taux de fragilité qui entrent dans la catégorie médicale sont en augmentation?

Ken Rockwood

L’une des raisons pour lesquelles nous savons que c’est le cas, c’est que de nombreuses personnes qui présentent un niveau de fragilité plus élevé qu’une fragilité légère cumulent un certain nombre de problèmes, ce que l’on appelle la multimorbidité.

Elles sont donc plus susceptibles d’être malades parce qu’elles ont 5 problèmes de santé en même temps, et l’un d’eux va s’aggraver. Elles finissent par venir consulter, par exemple pour leur diabète, reviennent 3 semaines plus tard pour leur fonction rénale, et encore 6 semaines plus tard pour un problème cardiaque.

Avis Favaro

Comment sait-on si on est fragile? Ou si un proche est fragile?

Ken Rockwood

L’une des façons de reconnaître la fragilité est de penser à toutes les choses que nous faisons en tant qu’êtres humains. Nous nous tenons debout, nous marchons et nous ne tombons pas. Ainsi, les personnes qui ont de la difficulté à marcher, qui ne se déplacent plus aussi rapidement qu’avant, ont toutes les chances de présenter un certain degré de fragilité. Les personnes qui chutent, et en particulier celles qui ont chuté plusieurs fois en peu de temps, sont fort probablement fragiles.

Les personnes dont la fonction est altérée. Nous avons évolué pour avoir des pouces opposables, ce qui se traduit par la capacité à faire des choses par nous-mêmes. Certaines sont compliquées, comme faire un chèque, conduire une voiture ou prendre une pilule. Certains sont très simples, comme s’habiller et faire sa toilette.

Nous faisons toutes ces choses sans y penser jusqu’au moment où les gens comprennent que, pour une raison ou une autre, ils ne peuvent plus faire ces choses aussi bien qu’avant.

Avis Favaro

Existe-t-il une liste de contrôle que les familles qui nous écoutent peuvent consulter pour savoir où elles se situent sur cette échelle de fragilité?

Ken Rockwood

Oui, il existe une échelle de fragilité clinique.

Avis Favaro

Vous avez participé à sa conception.

Ken Rockwood

Oui. On la retrouve dans des documents qui s’adressent principalement aux professionnels de la santé. Elle comporte des icônes qui permettent aux gens de se faire une idée générale de l’état d’une personne. L’échelle va de la très bonne forme à une assez bonne forme, puis à une fragilité très légère.
La fragilité très légère se caractérise par le fait que les personnes elles-mêmes ont souvent l’impression de se déplacer un peu plus lentement qu’avant, ou qu’elles ne sont plus aussi confiantes qu’avant dans les choses qu’elles aimeraient faire. Souvent, elles constatent que les choses qui ne les fatiguaient pas auparavant les fatiguent maintenant. C’est ce genre de choses. Elles ont certainement du mal à marcher dehors avec confiance, elles sont heureuses de faire des choses à l’intérieur, elles peuvent monter et descendre les escaliers, mais il s’agit de petites choses.

Avis Favaro

C’est un marqueur. Vous pouvez constater le déclin. Est-il important pour nous de faire le suivi de notre fragilité et de la fragilité de ceux qui nous entourent?

Ken Rockwood

Oui. Je pense qu’il vaut la peine d’en être conscient afin d’établir des objectifs pour l’améliorer. L’une des raisons pour lesquelles il vaut la peine d’en être conscient est de voir ce que l’on peut faire pour l’atténuer, pour éviter de devenir plus fragile, pour empêcher la personne dont on s’occupe de devenir plus fragile.

Avis Favaro

Avez-vous l’impression que la fragilité en tant que problème de santé est en augmentation au Canada?

Ken Rockwood

Oui. Le nombre de personnes qui viennent à l’hôpital et qui présentent une fragilité non reconnue est en augmentation. Le problème de la fragilité remet en question l’approche qui nous permet de réussir dans le domaine des soins de santé.

L’une des approches pour réussir dans le domaine des soins de santé consiste à comprendre très précisément les affections courantes. En effet, nous sommes très compétents pour résoudre des problèmes particuliers. Mais nous n’avons pas acquis les compétences nécessaires pour traiter les personnes qui ont beaucoup de problèmes à la fois.

Avis Favaro

Les personnes fragiles?

Ken Rockwood

Les personnes qui vivent avec la fragilité; c’est le terme que nous utilisons en langage axé sur le patient. Ils vivent avec la fragilité.

Avis Favaro

Vivre avec la fragilité? D’accord. Cela me fait penser à ce qu’un de vos collègues a dit. « Les personnes âgées fragiles ne se portent pas bien à l’hôpital, et notre système hospitalier n’est pas équipé pour s’occuper des personnes âgées fragiles. » Vrai?

Ken Rockwood

Oui, c’est exact.

Avis Favaro

Cela ferait donc partie du problème dont nous entendons parler dans les médias partout au pays, à savoir que les urgences sont pleines, que les patients ne peuvent pas monter à l’étage, que les lits sont pleins et qu’une grande partie des personnes hospitalisées attendent de pouvoir bénéficier d’autres niveaux de soins, de soins à domicile, de soins de longue durée. Est-ce exact?

Ken Rockwood

Oui. Je voudrais recadrer un peu les choses. Il y a des personnes qui doivent recevoir des soins de longue durée, pour lesquelles nous avons baissé les bras et dit qu’il n’y avait rien de plus à faire. Mais si la fragilité des gens était mieux prise en charge, il y en aurait moins qui voudraient aller en établissement de soins de longue durée ou qui se feraient dire qu’ils doivent y aller.

Avis Favaro

Des données récemment publiées par l’ICIS indiquent que les Canadiens fragiles sont 3 fois plus susceptibles d’être de grands utilisateurs de lits d’hôpitaux, 3 fois plus susceptibles d’être hospitalisés pendant un mois ou plus, 2 fois plus susceptibles d’être réadmis dans le mois qui suit leur sortie et 2 fois plus susceptibles de mourir dans l’année qui suit leur sortie de l’hôpital. Il existe donc un lien étroit entre la fragilité et l’hospitalisation.

Ken Rockwood

Oui. Et il n’est pas nécessaire que la situation soit aussi grave qu’elle l’est. Ce que je veux dire par là, c’est que le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que lorsque des personnes âgées fragiles tombent malades, elles s’adaptent mal à un système conçu pour des personnes qui ne devraient avoir qu’un seul problème à la fois. Et ce n’est pas à eux de tomber malades d’une manière qui nous convient mieux. C’est à nous de changer pour nous attaquer à ce problème.

Avis Favaro

Que ressentez-vous lorsque vous observez un système qui n’est pas adapté?

Ken Rockwood

Je suis gériatre. Nous sommes des optimistes. Je regrette de faire partie de la génération qui n’a pas réussi à persuader les gouvernements qui se sont succédé de la nécessité d’investir dans des programmes comme la gériatrie, la médecine interne générale, la psychiatrie générale et la psychiatrie gériatrique dans lesquels nous ne nous attendons pas à ce que les gens n’aient qu’un seul problème.
En fait, j’ai toujours eu pour objectif, lorsque je dirigeais le service de consultation des urgences, de faire remarquer aux gens qu’une jeune personne qui n’a qu’un seul problème n’est pas très intéressante par rapport à une autre en a 3 ou 4, et qu’il est possible de l’aider à aller mieux.

Et lorsque je vois une personne âgée fragile aux urgences, je vois presque toujours beaucoup de possibilités. Mais en même temps, j’ai un sentiment de regret de savoir que je vais avoir affaire à un public, même d’apprenants, très sceptique quant à la possibilité d’être optimiste.

J’éprouve donc un certain regret à l’égard de ceux qui n’ont pas été plus clairs. Je ressens la motivation d’aider cette personne, mais aussi la motivation, voire l’inspiration, de faire en sorte que d’autres médecins et travailleurs de la santé comprennent les joies de la gériatrie.

Avis Favaro

Qu’est-ce qui vous a attiré vers la gériatrie?

Ken Rockwood

J’ai fait des études de médecine pour devenir gériatre. J’ai commencé à travailler comme analyste des politiques pour le ministère de la Santé de la Saskatchewan au milieu des années 70. C’était un endroit très intéressant pour les amateurs de politique, car ce sont eux qui avaient inventé le régime d’assurance-maladie 10 ans auparavant.

C’était donc très intéressant. C’était un milieu de travail bien géré, bien financé, pragmatique, mais toujours stimulant. Lorsque j’ai commencé, on m’a dit : « Pourquoi ne pas vous faire travailler sur ceci et cela et sur les soins de santé aux personnes âgées? » et je me suis dit : « Les soins de santé pour les personnes âgées? C’est... Non! Je suis ici pour faire tout sauf cela. »

Mais il s’est avéré qu’à l’époque, la Saskatchewan voulait être la première dans tous les domaines de la santé. Ils ont donc fait appel à celui qui, à l’époque, était l’un des plus grands gériatres du monde pour créer un département de médecine gériatrique à l’Université de la Saskatchewan, et je suis tombé dans le panneau. J’ai commencé à travailler avec lui. Il est parti au bout d’un an, mais l’homme qu’il a emmené avec lui et qui est resté, Duncan Robertson, qui vient de prendre sa retraite, était un gériatre de premier plan dans le pays et il m’a encouragé, ainsi que d’autres personnes, à faire ce travail.

Avis Favaro

Si vous aviez pu réaliser votre rêve de convaincre les gouvernements d’investir dans les soins gériatriques, où en serions-nous aujourd’hui?

Ken Rockwood

La gériatrie ne serait pas une spécialité. Il s’agirait d’un service grand public. Au Royaume-Uni, c’est la première sous-spécialité en médecine interne, par exemple. Il n’est pas nécessaire d’avoir une conception missionnaire du travail pour vouloir faire de la gériatrie. Il s’agirait d’un travail acceptable, bien rémunéré et attrayant que personne ne remettrait en question. Pourquoi choisiriez-vous...? Vous n’avez pas besoin d’aller en gériatrie. Vous êtes intelligent. Vous pourriez même devenir cardiologue, c’est le genre de conseil que l’on entend. Ce serait une façon respectable et bien comprise de procéder. Et nous nous organiserions pour être moins centrés sur l’hôpital. Les soins hospitaliers ne seraient pas aussi inutilement dangereux qu’ils le sont actuellement.

Et nous serions très axés sur le patient. Nous comprenons parfaitement que, pour beaucoup de gens, le plus important est de rentrer chez eux et de bien fonctionner. C’est le résultat gériatrique universel. Si nous faisons quelque chose, si nous testons une intervention en gériatrie, quel en sera le résultat? Être en vie, chez soi, après un an. C’est ce que nous visons.

Avis Favaro

Est-ce que l’une des principales causes de la crise dans les hôpitaux serait que nous ne sommes pas capables de gérer la fragilité et de la prévenir? De gérer les personnes avant qu’elles ne deviennent fragiles?

Ken Rockwood

L’une des causes du problème auquel nous sommes confrontés actuellement, celui où tant de personnes se retrouvent aux urgences, essaient de monter à l’étage, puis ne peuvent pas rentrer chez elles, c’est la fragilité. La fragilité vient s’ajouter aux nombreux cas d’infections virales respiratoires saisonnières, en plus de toutes les façons dont la COVID-19 a eu des effets persistants sur la robustesse des soins de santé.

Mais il y a une chose importante à savoir. Le risque d’être fragile, la prévalence de la fragilité augmente considérablement après 75 ans. En 2021, les premières personnes de la génération du baby-boom ont 75 ans. Ce dont nous devons être conscients, c’est que nous vivons actuellement une période faste, car cette vague n’atteindra pas son apogée avant plusieurs années.

Oui, nous avons besoin de plus de lits de soins de longue durée, mais nous devons aussi utiliser ceux que nous avons beaucoup plus efficacement. Nous devons surmonter les problèmes hérités du passé qui sont liés à la pression exercée sur le système par la COVID-19. Et nous devons être prudents en cette saison grippale. Et il y en aura une autre l’an prochain.

Avis Favaro

Quel est l’essentiel?

Ken Rockwood

L’essentiel est que nous fassions un meilleur travail dans la gestion de la fragilité.
Avis Favaro

Que devons-nous faire dès maintenant pour qu’il y ait moins de personnes fragiles à l’hôpital? Ou en soins de longue durée?

Ken Rockwood

La première chose à faire est donc de mieux reconnaître les maladies chez les personnes fragiles. Nous devons améliorer la gestion de la maladie. Et nous devons améliorer les soins hospitaliers de routine, qui sont inutilement risqués.

En ce qui concerne la manière dont nous reconnaissons la maladie, on a longtemps dit que l’un des défis de la fragilité était que les personnes se présentaient de manière atypique. Ce qu’on voulait dire par là, c’est que ces personnes ont une pneumonie, mais qu’elles ne toussent pas. Ou si elles toussent, elles toussent toujours. La toux n’a rien de nouveau. Ces personnes sont essoufflées, ne font pas de fièvre et leur nombre de globules blancs n’augmente pas comme c’est le cas habituellement. Et tous les signes que l’on voit habituellement chez une jeune personne ou chez une personne qui n’a qu’un seul problème, on ne les voit pas chez les personnes fragiles. Et elles ont aussi d’autres signes qui ressemblent à d’autres choses, ce qui les rend confuses.

Le terme technique est le délire. Et nous avons encore des personnes qui arrivent à l’hôpital avec un delirium, et vous entendez la discussion ou vous lisez le dossier et vous vous dites qu’elles ont dû avoir un AVC. Non. Ce n’est pas à ça que ressemble un AVC. C’est possible, mais ce delirium a une présentation très caractéristique. Et pourquoi ne parvenons-nous pas à mieux comprendre ce que nous voyons et à l’aborder sous cet angle?

Avis Favaro

La solution commence-t-elle donc à l’hôpital?

Ken Rockwood

Nous devions faire un meilleur travail de prévention. Les soins primaires constituent également un défi de taille, tout comme les solutions de rechange à l’hospitalisation. Je suis donc très nerveux à l’idée d’en parler, car là où cela semble bien fonctionner, au Royaume-Uni, il existe un système de soins primaires très solide. Aujourd’hui, ils sont soumis à d’énormes pressions pour diverses raisons, mais je ne peux pas dire que nous ayons un système de soins primaires très solide.

Nous avons des antennes de soins primaires et les types d’équipes dont nous avons besoin pour traiter les personnes malades, mais nous n’avons pas la capacité de dire que nous pouvons avoir un programme de déroutement des ambulances. Ainsi, au lieu d’être amenée à l’hôpital, la personne rentre chez elle, nous lui prodiguons des soins, puis l’omnipraticien et son équipe seront sortis dans les 6 heures. Mais notre système ne fonctionne pas ainsi. Nous devons donc trouver un fonctionnement tout en tenant compte de ce que notre système peut faire.

Avis Favaro

Donc, si vous dites que les soins primaires sont la première ligne de défense contre la fragilité, il s’agirait des soins à domicile. Je crois qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, il existait un programme expérimental appelé COACH...

Ken Rockwood

En effet.

Avis Favaro

... qui a permis de cibler les personnes âgées présentant un risque de fragilité et de s’occuper d’elles à domicile. Les visites aux urgences avaient diminué de 30 %, les visites chez le médecin de 40 % et les admissions à l’hôpital de 70 %. S’agit-il d’une voie que d’autres provinces devraient envisager?

Ken Rockwood

Oui. Nous devrions examiner les moyens d’utiliser ce qui se passe lorsque les personnes sont raisonnablement bien portantes, mais manifestement fragiles. Je ne parlerai donc pas de prévention primaire, c’est-à-dire d’une situation où quelqu’un n’a pas de problème. Je m’intéresse aux personnes fragiles et nous essayons de réduire les risques pour qu’elles ne le deviennent pas davantage.
Nous essayons d’empêcher les personnes ayant une fragilité très légère de devenir légèrement fragiles, et les personnes légèrement fragiles de devenir modérément fragiles. C’est là que nous pourrions obtenir les meilleurs résultats.

Avis Favaro

Les mesures prises en la matière au pays sont-elles suffisantes?

Ken Rockwood

Je n’ai pas de données complètes sur ce qui se fait dans chaque région, mais il y a des endroits où il se fait du très bon travail, comme à Peterborough, où l’on a organisé les soins avec des gériatres, et j’en entends parler chaque fois que je vais aux réunions de la Société de gériatrie. C’est remarquable, mais il s’agit toujours de postes isolés. Ce n’est pas encore devenu la façon habituelle de faire les choses aujourd’hui.

Avis Favaro

Nous passons donc à côté d’une occasion.

Ken Rockwood

Oui.

Avis Favaro

L’autre point passionnant que vous m’avez soumis lors de la préparation de ce balado concerne les hôpitaux. Que doivent faire les hôpitaux?

Ken Rockwood

Nous devons faire mieux que ce que nous faisons actuellement dans les services d’urgence. Et j’ai moi-même travaillé aux urgences pendant des années. J’aime les gens qui y travaillent. J’aime la culture de l’émergence. J’aime beaucoup cette approche. Mais je crois que nous ratons l’occasion d’intervenir à cet endroit, et qu’il faut donc aller de l’avant.

Nous devons aussi améliorer les nombreux soins hospitaliers courants qui sont inutilement risqués. Ainsi, pendant longtemps, nous nous en sommes tirés avec des pratiques qui n’étaient pas à la pointe du progrès en matière de prescription de liquides intraveineux. Nous avons toléré que des personnes soient mal nourries à l’hôpital. Elles ne mangent pas assez lorsqu’elles arrivent à l’hôpital, et nous n’avons aucun moyen d’attirer l’attention sur ce point.

Nous nous en tirons avec la privation de sommeil, ou nous nous en tirions plus ou moins, mais nous ne pouvons plus le faire. On ne peut pas priver de sommeil une personne âgée qui est déjà fragile et qui est maintenant malade, et espérer qu’elle se rétablisse.

Avis Favaro

Êtes-vous en train de dire que les hôpitaux pourraient, sans le vouloir, aggraver l’état de santé des patients fragiles?

Ken Rockwood

Il ne fait aucun doute que les personnes fragiles ne peuvent pas supporter de ne pas être mobilisées, ce qui arrive dans bon nombre d’endroits, d’être privées de sommeil, ce qui fait souvent partie des soins de routine, d’avoir des plateaux qu’elles ne peuvent pas atteindre ou qu’elles ne touchent pas, de ne jamais retenir l’attention et de n’avoir personne pour les nourrir.

Ces choses simples et fondamentales, nous ne les faisons pas bien partout, et nous devons les faire bien partout si nous voulons avoir l’incidence nécessaire sur les personnes fragiles, afin d’éviter qu’elles ne soient placées dans des centres de soins de longue durée.

Avis Favaro

Votre objectif en ayant cette conversation était de persuader les gens. Que voulez-vous persuader les gens de faire?

Ken Rockwood

J’ai beaucoup réfléchi à cette question parce que j’occupe actuellement ce qui est, à bien des égards, un emploi de rêve. Je dirige un réseau appelé Frailty and Elder Care Network en Nouvelle-Écosse. Nous avons examiné tout ce que nous pouvions faire d’acceptable, que nous pouvions mettre en œuvre, qui ne mènerait pas à la faillite et qui ne stresserait pas le personnel en place.

Et nous nous sommes dit que la chose la plus facile à faire est d’établir une stratégie de mobilisation. C’est pourquoi nous avons, avec ce gouvernement, investi dans une stratégie de mobilisation des patients, en commençant par les hôpitaux régionaux, en ciblant non pas tous les degrés de fragilité, mais les degrés très léger, léger et modéré, car c’est là que se trouvent, selon les données, le plus grand défi et les plus grandes possibilités.

Avis Favaro

Les faire marcher?

Ken Rockwood

Les faire marcher 3 fois par jour. Nous commençons à peine le processus d’évaluation pour ce projet, mais nous offrons le toucher aux gens. Quelqu’un vient vous toucher, vous aide à vous lever, s’intéresse à vous, vous parle, vous aide à vous déplacer et vous encourage. Hé, nous avons fait 3 mètres ce matin. Faisons 4 mètres maintenant.

Et en tant que personne qui est venue, que nous avons ajoutée à l’équipe de soins, nous ne sommes pas allés voir le personnel de première ligne surchargé pour lui demander : « Hé, faites ceci aussi. » Nous faisons appel à des personnes capables de le faire. Nous nous attendons à ce que la mobilisation donne de bons résultats et permette à un plus grand nombre de personnes de rentrer chez elles plus rapidement et en meilleure forme.

Avis Favaro

Cela fonctionne-t-il? Avez-vous déjà des données probantes?

Ken Rockwood

Nous n’en sommes qu’aux premiers mois. J’ai des anecdotes, mais je préfère les données. Nous cherchons à créer une base de données appropriée.

Avis Favaro

D’accord. Quelle est donc la solution la plus rapide pour faire face à la fragilité et à son coût pour les hôpitaux et le système de santé?

Ken Rockwood

Nous espérons pouvoir bientôt proposer le programme Dignité du risque, élaboré ici, dans la province. Ce programme aide le personnel soignant de première ligne à se défaire de l’idée qu’il doit assurer la sécurité des patients à l’hôpital. Bien sûr, c’est le cas, mais on ne peut pas les enfermer dans un cocon. Les patients ont besoin de marcher, ce qui implique un certain risque. Les données montrent qu’il y a moins de chutes si on mobilise la personne, en particulier si on la mobilise avec une équipe de soins.
Vous pouvez imaginer à quel point toute cette entreprise est précaire. Que se passe-t-il si une personne tombe? Eh bien, elle va tomber avec l’équipe de soins. Nous demandons aux gens de faire les choses différemment de ce qu’ils ont fait jusqu’à présent, d’une manière qui, pour certains, se heurtera à un seuil de risque avec lequel ils ne sont pas à l’aise.

Ce que nous essayons de faire dans le cadre du programme Dignité du risque, c’est de les aider à recadrer ce risque, à ne pas considérer uniquement les 2 ou 3 prochains jours, mais le contexte de ce qui est susceptible de se produire au cours de cette année, avec l’objectif de les garder en vie dans leur propre maison.

Avis Favaro

Dans combien de temps le programme sera-t-il mis en œuvre? Un an ou 2? Ou 6 mois?

Ken Rockwood

Il s’agit plus d’une année que de 6 mois. Il s’agit plutôt d’un an que de 2 ans.

Avis Favaro

Ressentez-vous l’urgence de le mettre en œuvre?

Ken Rockwood

Oui. Tout à fait.

Avis Favaro

Que doivent faire nos auditeurs qui ne veulent pas devenir fragiles ou voir leurs proches devenir fragiles?

Ken Rockwood

Voici ce qu’ils doivent faire, par ordre croissant d’importance. Commençons par l’élément le moins important et pour lequel il existe encore des données, et terminons par le plus important. Voici : bien manger, bien apprendre, faire de l’exercice et faire tout cela en groupe.

Avis Favaro

En groupe? Pourquoi en groupe?

Ken Rockwood

Si vous voulez fragiliser un groupe de personnes, laissez-les agir seules. Elles seront isolées. Elles deviendront solitaires. En tant qu’êtres humains, nous avons évolué pour nous engager socialement avec d’autres personnes et pour nous déplacer.

Avis Favaro

Un autre sujet d’actualité est la musculation. Est-ce une bonne idée d’en faire?

Ken Rockwood

C’est raisonnable d’en faire. En règle générale, si vous avez une santé cardiovasculaire de base et que vous faites des exercices de musculation progressifs, vous avez une bonne combinaison.

Avis Favaro

J’ai 2 autres questions. Que devons-nous faire pour prévenir la fragilité?

Ken Rockwood

Je crois beaucoup à l’exercice physique. J’ai un entraîneur depuis des années, et je ne suis pas du tout un athlète naturel. Et je veux travailler avec quelqu’un qui peut s’assurer que je fais les choses correctement parce que je suis à un âge où l’on peut se blesser plus facilement qu’on ne le pense et où il faut plus de temps pour se rétablir.

Avis Favaro

Oh, je le sais parfaitement, car j’ai eu à faire face à certaines blessures. Mais la fragilité vous préoccupe. Vous considérez que c’est quelque chose que vous devez faire pour vous-même?

Ken Rockwood

Oui.

Avis Favaro

Qu’espérez-vous? Nous savons ce qu’il en est d’après les données de l’ICIS, à savoir qu’il y a beaucoup de personnes fragiles à l’hôpital. Les perspectives ne sont pas bonnes. Vous nous avez prévenus qu’il y a de plus en plus de personnes fragiles en raison de leur âge. Qu’espérez-vous?

Ken Rockwood

J’espère que nous ne perdrons pas l’assurance-maladie, parce que nous voyons souvent apparaître actuellement, même ici, des services privés de chirurgie, sous contrat avec le gouvernement, par exemple. Et au gouvernement, on s’empresse, vous savez, de se frapper la poitrine et de dire : « Regardez les résultats que nous avons obtenus pour les patients. »

Eh bien, oui, c’est comme si vous aviez choisi des personnes qui allaient bien se débrouiller. Vous ne pouvez pas dire qu’il s’agit d’une procédure que vous avez déjà pratiquée et que vous maîtrisez si bien. Vous êtes plutôt doué pour choisir des personnes qui ne risquent pas de subir de mauvais traitements.
J’ai peur que si nous laissons cela se produire, et que nous mettons en place des mesures incitatives pour que les gens aillent au privé, nous nous retrouvions avec un système privé parallèle qui, dès que quelque chose de grave se produira, enverra les gens dans le système public. Et pendant ce temps, le soutien dont bénéficie actuellement le système public s’effritera et, par conséquent, nous n’aurons plus la possibilité d’innover comme nous devons le faire.

J’espère que nous ferons un travail suffisamment bon pour réduire la menace qui pèse actuellement sur les soins médicaux financés par l’État au Canada.

Avis Favaro

Et la fragilité est un élément clé.

Ken Rockwood

La fragilité est la clé, de mon point de vue. C’est là que réside toute l’insatisfaction, à cause des résultats défavorables obtenus par les personnes fragiles. Je veux dire que si j’apprends qu’un ami a un parent à l’hôpital, je n’entame pas la conversation avec lui en pensant que tout s’est bien passé.

Nous constatons chaque jour que nous n’obtenons pas les résultats que nous devrions pouvoir obtenir. C’est parce que nous ne savons pas comment gérer les gens de la manière, avec les compétences, la perspicacité et l’approche qui leur permettraient d’obtenir de meilleurs résultats. Nous abandonnons trop tôt et les envoyons dans un centre de soins de longue durée alors qu’ils n’en ont pas besoin, et nous ne faisons pas ce qu’il faut pour qu’ils réussissent le mieux possible dans ce que nous leur proposons.

Avis Favaro

Et cela vous inquiète?

Ken Rockwood

Oui.

Avis Favaro

Je ne m’attendais pas à cette dernière réponse, mais c’est un très bon point.

Merci beaucoup, Dr Rockwood. Je suis reconnaissante de votre engagement envers la médecine gériatrique.

Ken Rockwood

J’en suis ravi.

Avis Favaro

Saviez-vous que plus de 1,6 million de Canadiens âgés vivent actuellement avec une fragilité et que, d’ici 10 ans, ils pourraient être plus de 2,5 millions?

Vous trouverez un lien vers le rapport de l’ICIS sur la fragilité et l’échelle de fragilité du Dr Rockwood sur notre site Web au icis.ca. I-C-I-S-point-C-A.

Merci d’avoir participé à notre discussion. Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein, avec l’aide de notre adjointe à la production, Heather Balmain. Nous saluons également Alya Niang, qui anime le balado en français, et nous remercions tout particulièrement Jeanie Lacroix, l’animatrice invitée de ce mois-ci.

Abonnez-vous au Balado d’information sur la santé au Canada et écoutez-le sur la plateforme de votre choix. Ici Avis Favaro. À la prochaine!

Si vous avez un handicap et aimeriez consulter l’information de l’ICIS dans un format différent, visitez notre page sur l'accessibilité