Dons d’organes et transplantations au Canada — Dr Matthew Weiss et Sylvie Charbonneau

29 min | Publié le 24 janvier 2022

La COVID-19 a eu des répercussions sur chaque aspect du système de santé au Canada, et les dons et transplantations d’organes sont l’un des domaines les plus touchés par ces répercussions. En 2020, une baisse de 14 % des transplantations d’organes pleins a été observée : 4129 Canadiens étaient en attente d’une transplantation et 276 patients en attente sont décédés. Le Dr Matthew Weiss, intensiviste pédiatrique et coprésidant du Groupe de travail sur les systèmes de données de la Collaboration en matière de dons et de greffes d’organes de Santé Canada, et Sylvie Charbonneau, présidente nationale de La Fondation canadienne du rein et elle-même donneuse de rein, se joignent au Balado d’information sur la santé au Canada pour discuter avec nous de la réalité des médecins et des patients au sein du système et de possibles solutions pour sauver plus de vies et en améliorer la qualité.

Cet épisode est disponible en français seulement.

Transcript

Alex Maheux

Bonjour et bienvenue au Balado d’information sur la santé au Canada. Je suis votre animatrice, Alex Maheux. Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des patients et des experts qualifiés. Restez à l’écoute, car nous irons au-delà des données pour en savoir plus sur le travail qui est fait pour nous garder en santé. 

La pandémie Covid-19 a ajouté des complications à presque chaque élément de nos systèmes de santé, mais un des domaines les plus affectés est le don et transplantation d’organes. Une nouvelle analyse de l’ICIS démontre que le pourcentage de gens au Canada qui ont reçu une transplantation a diminué de 14 % en 2020. Aujourd’hui, nous parlons au Dr Matthew Weiss, intensiviste pédiatrique au CHU à Québec, qui mène ses activités académiques sur le don d’organes, et Sylvie Charbonneau, présidente nationale du Conseil de la Fondation du rein, qui est aussi donneur de rein vivant pour son fils Benoît. Nous leur parlons des défis qui existent dans le métier et ce que chaque Canadien et Canadienne devrait savoir. 

Bonjour Matthew, bonjour Sylvie, bienvenue au Balado. 

Sylvie Charbonneau

Bonjour. 

Matthew Weiss

Bonjour, merci. 

Alex Maheux

Matthew, je vais commencer avec vous. Vous êtes médecin spécialiste en soins critiques pédiatriques, mais vous êtes aussi chercheur se spécialisant en dons et transplantations d’organes. Pour aider à nos écouteurs à mieux comprendre le système de transplantation et peut-être pourquoi c’est plus difficile qu’on imaginerait, pourriez-vous nous expliquer un peu les plus gros défis à l’instant même dans le domaine?

Matthew Weiss

Bien, c’est sûr qu’il y a plus de défis. Comme vous le savez, il y a des centaines de Canadiens chaque année qui sont en attente d’organes. Le plus fréquent, c’est les reins, mais aussi les foies, les poumons, les cœurs, les pancréas, les autres organes. La raison principale qu’il y a du monde en attente, c’est parce qu’il n’y a pas assez de donneurs. Les donneurs sont rares; c’est quelque part entre 1 % et 2 % des décès dans l’hôpital qui sont éligibles pour le don d’organes solides. Donc, ça fait que le bassin de donneurs potentiels est très limité et c’est très critique d’identifier et réaffairer tous ces donneurs aux organismes qui font la coordination de dons d’organes. 

Après ça, il y a toujours des difficultés de donner le bon receveur qui est compatible avec les organes qui sont offerts. Il y a beaucoup d’échanges quand on parle des données. Le don des transplantations, c’est probablement le secteur du système de santé dans lequel il y a le plus d’échanges entre les provinces. C’est excessivement rare que quelqu’un va être envoyé de Québec au Manitoba pour être soigné pour son problème cardiaque. Ça n’arrive à peu près jamais. Mais c’est tous les jours que, nous, à Transplant Québec, on reçoit des appels d’autres provinces pour faire des échanges d’organes. Donc, ça aussi, ça complique la situation. C’est beaucoup de logistique, l’organisation des blocs opératoires, etc. Donc, ça, ça gratte un peu la surface des enjeux qui sont là dans notre système de dons de transplantation, mais on peut en discuter en plus de profondeur si vous voulez. 

Alex Maheux

Surtout beaucoup d’enjeux. Sylvie, vous êtes impliquée dans le domaine, tous les deux, de votre travail de façon professionnelle, mais aussi vous l’avez vécu malheureusement. Pouvez-vous nous conter votre expérience de famille avec le don d’organes de la transplantation? 

Sylvie Charbonneau

Oui, bien sûr. Alors, moi, j’ai deux enfants, un grand garçon qui a maintenant 39 ans, une fille qui a 36 ans. C’était deux enfants en santé. Mon mari et moi, on a toujours dit qu’on était chanceux de ce côté-là, deux athlètes, des jeunes qui ont fait beaucoup, beaucoup de natation. Et à un moment donné, à peu près à 22, 23 ans, notre garçon a fait un épisode de haute pression. Surprise! Il a dû aller à l’urgence de l’hôpital et, à ce moment-là, le médecin lui avait dit qu’il n’aimait pas beaucoup sa formule sanguine; il était inquiet sur sa fonction rénale. C’est resté comme ça. 

Puis, finalement, à peu près à 27 ans, il a eu beaucoup de douleur à l’abdomen. Il s’est rendu à l’hôpital et on lui a diagnostiqué une maladie rénale. Une maladie congénitale. Donc, il est allé avec cette maladie-là. Mais les maladies rénales, c’est silencieux, han. On le sait seulement quand il est trop tard pour les malades. Alors, ses reins fonctionnaient à 25 % et ce que le médecin lui avait dit à l’époque, c’est : tu te diriges inévitablement vers la dialyse ou une greffe. Donc, moi à ce moment-là, je me suis portée volontaire pour lui donner un rein. En fait, mon mari et moi, on a été testé tous les deux, on était compatible tous les deux. Mais pour toutes sortes de raisons, c’est finalement moi qui ai été le donneur. Donc, en décembre 2012, je lui ai donné un rein. Ça s’est très bien passé. La procédure s’est très bien passée. Il faut dire que pour être un donneur, il faut être en santé, han. J’ai passé des examens médicaux. Le processus a duré à peu près un an. Donc, tout s’est bien passé, il a repris sa vie à peu près normale, avec une diète beaucoup moins sévère, parce qu’avant la greffe il avait une diète extrêmement sévère. Il fallait surveiller le sodium, le potassium, les protéines parce que, dans le fond, quand un rein ne fonctionne pas, c’est comme quand un fil de piscine ne fonctionne pas, toute la cochonnerie, si je peux utiliser ce mot-là, passe dans l’eau de la piscine. Bien, pour un rein, c’est la même chose. Il y a plein de choses qui devraient être bonnes pour nous, mais quand elles passent en trop, bien, ce n’est pas bon pour l’organisme. 

D’ailleurs, à un moment donné, Benoît s’est retrouvé à l’hôpital parce que son taux de potassium était tellement élevé qu’il était à risque de faire un arrêt cardiaque. Tu sais, quand t’as 29 ans puis que tu te fais dire que tu pourrais faire un arrêt cardiaque dans les prochaines heures, prochains jours, ce n’est pas très, très rassurant ni pour le jeune, puis c’est bien, bien inquiétant pour les parents, tu sais. Tu ne devrais pas penser à la mort quand t’as cet âge-là. 

Alors, donc, si je reviens à la greffe, ça s’est bien passé sur plusieurs années. Malheureusement, l’année passée, il a fait un rejet chronique. Donc, il a développé des anticorps qui ont attaqué le rein que je lui ai donné, ce qui fait qu’aujourd’hui, bien, ses deux reins à lui ne fonctionnent plus depuis un bout de temps. Le rein que je lui ai donné fonctionne à peu près à 10 % et là, bien, il est en dialyse depuis le mois de juin. On espère donner un autre donneur. On a testé plusieurs personnes dans la famille proche, parce que c’est souvent la façon la plus facile de trouver quelqu’un de compatible. Malheureusement, à cause de son taux d’anticorps, on n’a trouvé personne qui est compatible. Mais ma sœur et mon mari se sont portés volontaires, ont passé tous les examens, ils sont qualifiés pour être donneurs et vont faire partie du programme de dons croisés au Canada. 

Donc, comme Matthew le mentionnait, c’est un des endroits où il y a effectivement échange entre les systèmes de santé des différentes provinces. Donc, le don croisé, c’est si on trouve quelqu’un à l’extérieur du Québec qui est compatible avec notre garçon et que cette personne a un donneur qui serait compatible avec notre garçon, que nous, soit mon mari soit ma sœur est compatible avec la personne qui a un donneur non compatible, on croise les greffes. Donc, en fait, c’est des chaînes de greffes qu’on fait à travers le Canada. Donc, on a bon espoir dans les prochaines années de trouver un donneur de cette façon-là, parce qu’on espère beaucoup le sortir de la dialyse. La dialyse, c’est… Lui fait de la dialyse à la maison. C’est donc toutes les nuits, minimum huit heures, branché à une machine pour filtrer son sang. Voilà. 

Alex Maheux

C’est beaucoup pour vous, pour votre famille, Benoît. Je ne peux pas imaginer comment ça peut peser, comment ça peut être lourd pour votre famille. Je suis quand même curieuse, parce que vous avez maintenant avoir dû faire l’expérience deux fois et, cette deuxième fois, durant une pandémie. On a eu beaucoup de pression, des pressions immenses sur nos systèmes de santé : des milliers de chirurgies de cancellées, moins de dons d’organes qui se passent. Comment est-ce que l’expérience est différente cette fois-ci pour votre famille et pour Benoît? 

Sylvie Charbonneau

En fait, il y a deux choses. Dans un premier temps, Benoît a été extrêmement prudent parce que son système immunitaire est déficient à cause des antirejets qu’il prend. Donc, sur le plan de la pandémie, il était beaucoup plus à risque. Il vit dans une famille, sa copine a trois adolescents. Donc, tant que les adolescents n’ont pas été vaccinés, ce n’était pas… ce n’était pas toujours rassurant, je vais le dire comme ça. Il y a beaucoup limité ses déplacements, ses visites. Mais l’autre facteur qu’on a vécu, c’est… Moi ç’a pris un an pour que je me fasse qualifier comme donneur. Mon mari, ça va avoir été un petit peu plus long. Ma sœur, ç’a été un petit peu plus rapide au moment où elle est rentrée dans le système, mais ç’a été difficile de faire en sorte qu’elle ait ses premiers examens, parce que les centres qui font les évaluations des donneurs potentiels, bien, les infirmières étaient prises ailleurs à s’occuper de la pandémie; les médecins, la même chose. Donc, on a vécu des hauts et des bas, des attentes. Tu sais, on est encore dans la pandémie, malgré le fait que Benoît soit vacciné, qu’il ait eu sa troisième dose. C’est toujours inquiétant, parce que c’est des gens qui sont fragiles sur le plan de la santé. Donc, c’est toujours inquiétant. 

Alex Maheux

Matthew, pour toi, quand tu entends les histoires de Sylvie et de Benoît, si on peut entrer dans les détails que vous avez mentionnés avant, c’est quoi les problèmes, les obstacles du système qu’on a besoin de surmonter pour s’assurer que les personnes comme Benoît aient accès aux organes qu’ils ont besoin?

Matthew Weiss

Mais, en fait, pour le lier avec ce qui est possible avec un organisme comme CIHI, là, avec les données, je pense qu’une des leçons les plus importantes qu’on a apprises pendant la pandémie, c’est l’importance des données et les données qu’on n’avait pas facilement ici au Canada. Comme Sylvie vient de le mentionner, la pandémie, bon, évidemment, ç’a bouleversé tout le système de santé au total, y compris le système de don des transplantations. Mais ce qui n’était pas évident et qui n’est toujours pas tout à fait évident pendant la pandémie, c’est pourquoi. Donc, c’est facile de savoir qu’on avait moins de greffes. OK. Ça, c’est quelque chose qui est facilement mesurable, mais est-ce qu’on avait moins de greffes parce qu’on avait moins de patients éligibles pour donner? Est-ce que le taux de consentement a diminué? Est-ce que c’est parce que les gens mettaient moins de monde sur les listes d’attente? Ces subtilités sont importantes, parce que si on va adresser le manque, il faut savoir où mettre les ressources. Parce que si le taux de consentement a même augmenté mais il y a juste moins de donneurs éligibles, bon, il n’y a pas grand-chose qu’on peut changer pour ça. Mais si c’est parce qu’il y a des gens qui disaient moins souvent oui, bien, ça, on peut faire l’éducation, on peut mettre des ressources pour améliorer notre taux de consentement. Donc, c’est très important d’avoir un système agile et à jour pour être capable de répondre aux besoins. 

Sylvie Charbonneau

J’aimerais ça ajouter que je pense que la pandémie a quand même amené quelque chose de bon dans le don vivant, notamment : avant la pandémie, si… Moi, j’ai un frère qui vit en Colombie-Britannique. Bon, il n’est pas compatible, mais s’il avait été compatible, il aurait fallu qu’il voyage au Québec pour donner un rein à Benoît. Avec la pandémie, on a expérimenté de faire voyager les organes plutôt que les personnes. Donc, ça, je pense que c’est un élément qu’on a appris pendant la pandémie, qui va faire en sorte qu’il y a des gens qui n’auraient pas voulu devenir donneurs à cause du transport et des frais qui vont avec. Mais là, le fait qu’on est opéré près de chez soi, qu’on n’ait pas besoin de se déplacer, qu’on puisse faire notre convalescence près de chez soi puis que c’est l’organe qui voyage, ça, je pense que ça va être un élément qui va augmenter le don vivant. Deux autres éléments que j’aimerais mentionner, je pense, qui n’ont pas rapport avec la pandémie mais qui peuvent avoir rapport avec le consentement. 

Je ne sais pas, Matthew, si tu as des chiffres, mais moi j’ai entendu des chiffres sur le refus des familles. Même si on a signé notre carte de consentement, lors d’un décès la famille peut dire non à la place d’une personne qui a consenti à donner ses organes. Moi, j’avais entendu un chiffre qui tournait autour de 30 %, mais je ne suis pas sûre que mon chiffre est à jour. Donc, il y a beaucoup de personnes qui ne savent pas qu’il faut en parler à sa famille, il faut en parler à ses proches de notre volonté de donner nos organes, sinon ça pourrait ne pas se passer. Mais ça, je pense que ça diminue le bassin de donneurs potentiels. 

L’autre élément. Moi, j’ai donné plusieurs conférences, plusieurs témoignages suite à mon don et une des questions que je me suis fait poser le plus souvent, c’est : c’est quoi l’impact sur toi? Est-ce que tu prends des médicaments? Est-ce que t’as un régime spécial? Et je pense qu’il y a des gens qui craignent de donner, parce qu’ils ont l’impression que ça va avoir un impact sur leur vie. Et moi, ma réponse à ça, c’est : outre ma convalescence, outre le fait que j’ai passé des examens pendant un an, qui en quelque sorte est comme un cadeau, parce que je ne me serais jamais fait tester, examiner sur le plan de la santé aussi profondément que quand j’ai voulu donner un rein. Bon, j’ai eu ma convalescence, mais depuis ce temps-là, moi, je n’ai aucune diète spéciale, je ne prends aucun médicament. J’ai 65 ans, je ne prends aucun médicament, je fais encore beaucoup de sport. Ça n’a eu aucun impact sur ma santé puis sur ma vie. Donc, l’impact pour le donneur, c’est : pendant une petite période, se faire évaluer puis faire une convalescence. Je pense que ça, on n’en parle pas assez non plus. Si on en parlait plus, peut-être qu’il y aurait plus de personnes qui se manifesteraient pour être un donneur vivant. 

Alex Maheux

Certainement. Vous parlez d’impacts. J’aimerais aussi parler des deux autres côtés de l’histoire. L’impact sur le patient, spécifiquement l’impact sur les patients qui sont sur une liste d’attente, qui sont obligés d’attendre pour un organe, qui a un gros impact sur le patient et la famille, mais aussi l’impact sur nos systèmes de santé quand un patient est sur une liste d’attente. 

Matthew Weiss

L’impact le plus intense et le plus grave, évidemment, c’est des décès. En 2020, il y a eu à peu près 275 Canadiens qui sont décédés sur les listes d’attente. Et même ça, ce n’est probablement pas tout le monde qui devrait être compté, parce que malheureusement il y a des gens sur les listes d’attente qui deviennent tellement malades qu’ils sont retirés de la liste d’attente avant qu’ils décèdent, parce qu’ils sont trop malades pour recevoir un organe. Donc, le vrai chiffre, on ne sait même pas exactement combien de monde peut être aidé. Mais comme vous dites, là, ça, c’est juste l’issue la plus grave, mais il y a plein d’autres effets négatifs. Comme Sylvie vient de mentionner, le monde qui attendent des reins, ils sont branchés sur la machine pendant quatre, six, huit heures par jour. OK. C’est quasiment impossible d’avoir un emploi. Ce n’est sûrement pas un emploi exigeant. C’est gens-là ne participent pas pleinement dans la société ni sur le plan économique ni sur le plan personnel. Donc, ça, c’est un impact majeur pour notre société et c’est… Le don et la transplantation, c’est un des rares exemples dans le système de santé, parce que… où tu peux sauver à la fois l’argent et les vies. Souvent, tu peux payer un traitement et ça va coûter, mais t’auras l’impact, c’est que tu sauves des vies, tu sauves des années en santé. Mais ici, de libérer ce monde-là de leur besoin de dialyse ou des autres traitements comme ils ont un organe défaillant et ça sauve aussi de l’argent dans le système. Oui, c’est un investissement. C’est un investissement d’avoir des chirurgiens transplanteurs, c’est un investissement d’avoir le programme d’éducation pour être sûr que les donneurs ne sont pas manqués, mais ça paye, là, ça paye à la fin, là, c’est sûr. Donc, Sylvie, je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose. 

Sylvie Charbonneau

Bien, je suis d’accord avec ce que Matthew apporte. C’est sûr qu’on va parler plus du rein dans ces cas-là. Dans les autres organes, il y a à peu près pas de moyens palliatifs, puis s’il y en a, bien, c’est des moyens qui sont très dispendieux. Puis, effectivement, il y a des gens qui décèdent sur la liste, puis c’est extrêmement malheureux qu’on ait encore des gens qui décèdent alors qu’ils sont sur la liste. Sur le plan de la dialyse, une personne en dialyse, ça coûte à peu près 80 000 $ par année. Dans les impacts, il y a des impacts financiers aussi. Ça hypothèque la santé, parce que quelqu’un qui est en dialyse, c’est difficile sur le corps, donc ça hypothèque l’espérance de vie, alors que quelqu’un qui a eu une greffe, bien, c’est le coût de l’opération puis le coût des médicaments à chaque année et, ça, c’est beaucoup moins dispendieux que 80 000 $ par année pendant des années. Je vais vous donner un exemple très concret. 

Quand moi, j’ai passé tous mes tests – je vous disais tantôt qu’on a été – c’est toujours drôle de dire « on », mais on a été opéré en décembre 2012. Le néphrologue de mon garçon lui avait dit : si t’as pas une greffe avant Noël, en janvier on passe en dialyse. Bien, pour accélérer le processus, entre autres, moi, j’avais une colonoscopie à passer. Dans le système de santé, il y avait un an et demi d’attente. Moi, je suis allée au privé, j’ai payé 500 $. Ça ne me dérangeait pas de le payer parce que j’ai eu une colonoscopie en-dedans de 10 jours et, ça, ç’a fait que Benoît n’est pas allé en dialyse pendant un an, parce que si j’avais attendu un an pour aller passer ma colonoscopie, bien, il aurait été un an en dialyse. Donc, on prend 500 $ pour un examen versus 80 000 $ pendant un an de dialyse. Je vais le dire en anglais, je m’excuse, mais le business case, ce n’est pas difficile à faire. La greffe, c’est beaucoup mieux pour la qualité de vie, puis pour le système de santé c’est rentable. 

Alex Maheux

Sylvie, on parle de l’impact sur nos systèmes de santé, l’impact sur la santé physique du donneur et du récipient. Mais en tant qu’impact de la santé mentale pour votre famille et pour Benoît, ça devait être et ça doit être vraiment difficile. Comment vivez-vous ça? 

Sylvie Charbonneau

Merci pour la question, Alexandra, parce que c’est effectivement une histoire de famille, han. Parce que là, tu sais, c’est la maman puis le garçon qui vont se faire opérer. Bon, on a une fille, mon mari, ma fille a deux petits-enfants. On était toujours inquiet. Benoît m’appelait, là, puis il avait un rhume puis je disais : ça va-tu? On est toujours inquiet que ça aille plus mal, que sa santé se détériore. Et je me souviens que ma fille nous avait dit – à l’époque, elle avait 30 ans; non, mon calcul n’est pas bon, elle avait 27 ans – je vais me faire tester, moi aussi. Puis ma première réaction, ç’avait été : non, je ne veux pas. Puis elle m’avait dit : voyons, maman, pourquoi tu ne veux pas que je me fasse tester? Puis je lui avais dit : je ne peux pas imaginer mes deux enfants sur la table d’opération en même temps. Je pense que comme maman, je vais être tellement anxieuse, tellement stressée, je ne peux pas imaginer ça. Puis quand je lui ai dit ça, j’ai réalisé que pour elle puis pour mon mari, je leur demandais que la maman et le frère ou la conjointe et le fils, soient sur la table d’opération en même temps. Donc, il y a des répercussions sur la famille, parce qu’on est inquiet, on est très inquiet pour la personne qui est malade, mais on est inquiet aussi pour la personne qui passe tous les tests puis qui va être sur la table d’opération en même temps. C’est deux membres d’une famille de quatre. C’est 50 % de la famille qui est impliquée là-dedans directement, qui va se faire opérer. 

Puis, bon, il y a la convalescence après. Mais moi, j’ai eu une famille extraordinaire. Quand j’ai fait ma convalescence, ma fille prenait des journées de congé, elle venait marcher avec moi pour m’encourager à reprendre mon énergie. Mon mari a fait la même chose. Donc, c’est vraiment, c’est vraiment une histoire de famille. Tout le monde est touché là-dedans, puis même pas de loin, là. Tout le monde de la famille est touché là-dedans. 

Alex Maheux

Je ne peux pas imaginer comment dur ça doit être pour votre famille. 

Matthew, parlons un peu de solutions. Vous faites partie de quelques groupes de conseil pour discuter les défis face à la collection de données, spécifiquement les technologies qui aideraient dans le système de dons et de transplantation d’organes. Quel est l’état maintenant de nos données et qu’est-ce que nous avons besoin de faire pour améliorer les décisions à prendre pour sauver des vies en fin de ligne?

Matthew Weiss

Mais c’est sûr qu’il y a… On peut diviser ça dans les solutions qui touchent plutôt les solutions de dons et plutôt des solutions de transplantation et aussi dons vivants. OK. Parce que c’est deux catégories un peu différentes. Les besoins des données sont différents aussi. C’est sûr que ce qui touche le don est à la fois compliqué, mais à la fois beaucoup plus simple que le côté transplantation et, ça, c’est parce que les données de dons, comme les références pour un donneur potentiel, ça passe tout par les organismes – on les appelle les ODO (les organismes de dons d’organes) – dans les différentes provinces. Là, il y en a juste 13 au Canada. Il y en a qui ont déjà leur plateforme logicielle qui est commune entre eux. Évidemment, ça ne se parle pas facilement encore, mais ça c’est du travail de CIHI et Canada Health Infoway d’aider ces plateformes à se parler plus. Mais il y a d’autres provinces qui n’ont pas notre solution logicielle facile. Donc, les données sont soit sur papier soit sur des systèmes maison. Donc, c’est sûr que d’avoir tout le monde avec à la fois une solution technique qui peut partager facilement les données juste du côté technique, mais aussi que tout le monde a la même définition. Parce que ça aussi, c’est, est-ce que donneur potentiel est défini dans une manière pareille en Ontario, au Manitoba, en Nouvelle-Écosse? Ça, c’est comme un gros défi. Donc, ça, c’est comme les solutions qui sont actuellement cherchées par CIHI et Canada Health Infoway, de mettre tout le monde sous le même étage pour des définitions, mais aussi les plateformes techniques. 

Quand je dis que le problème est plus intense côté transplantation, c’est parce que les programmes de transplantation sont tous basés dans les hôpitaux et il y en a des douzaines à travers le pays. Ils ont tous les systèmes souvent maison ou souvent c’est un hôpital qui utilise un système, un logiciel de disparité, c’est comme est-ce qu’ils ont des données pour… Parce que ce qu’on voudrait idéalement, c’est d’être capable de faire le lien entre un tel type de donneur qui était greffé dans un tel type de personne et c’est quoi les fonctions de ses organes qui étaient greffés 1, 3, 5, 10 ans plus tard. Mais il faut que ces données soient stockées dans une manière qui permet le partage et aussi que les définitions soient standardisées. Donc, ça, c’est le gros défi à travers le pays. Je dirais que c’est les défis principaux. 

Alex Maheux

Est-ce qu’il y a aussi peut-être des politiques à travers le pays qui peuvent aider à avancer ces technologies avancées, ces systèmes? 

Matthew Weiss

C’est sûr que le partage de données, c’est gros. On est tous sensible, on comprend bien les lois sur la confidentialité et la vie privée pour les patients. On ne va jamais partager, disons, des données avec des compagnies, des entreprises qui vont essayer de faire profit avec les données privées d’un patient. En même temps, c’est les échanges entre les provinces avec des organismes dans les transplantations comme Transplant Québec ou BC Transplant en Colombie-Britannique. Mais il faut que ça soit facilité, parce que le seul moyen de maximiser l’utilité d’un donneur potentiel, soit vivant ou soit décédé, c’est de trouver le bon receveur qui est compatible avec ces gens-là. C’est littéralement… jusqu’à cette année, il y a des coordinateurs de dons qui sont obligés d’envoyer des fax dans des provinces variées, parce qu’on n’est pas sur la même plateforme. On penserait que si j’avais un donneur potentiel ce serait facile de juste taper sur un bouton après que les données sont recrutées dans notre système et de faire un bouton et c’est envoyé partout dans le pays, mais ce n’est pas toujours aussi facile que ça. Donc, c’est juste de faciliter les politiques qui permettent les échanges de données entre les organismes. C’est à la base quelque chose de très important. 

Alex Maheux

J’ai une question à poser à tous les deux. Sylvie, pour toi, je sais que tu es très impliquée avec la Fondation du rein. Mais du côté du patient, qu’est-ce que vous voudriez dire au docteur? Ensuite, Matthew, quel message aimerais-tu donner au patient sur votre côté de l’expérience?

Sylvie Charbonneau

Eh la-la. Je pense que ce que j’aimerais dire à un docteur qui fait une greffe ou qui évalue un receveur ou un donneur – je le dis, puis en même temps je sais que ça les préoccupe – c’est l’attente. L’attente est très difficile. Le temps d’évaluation d’un donneur vivant, le temps d’évaluation d’un receveur aussi, han, parce que le receveur est aussi évalué, l’anxiété que ça cause, le stress que ça cause. Si on avait les données puis si les équipes médicales se mettaient ensemble, peut-être que s’il y avait une meilleure coordination, on pourrait passer à travers le processus plus rapidement. L’attente est vraiment très, très difficile. C’est sûr que nous, tu sais, on est un patient sur une quantité de patients que ces médecins-là voient, mais c’est difficile pour le patient, le donneur, c’est difficile pour le receveur, c’est difficile pour la famille. Donc, plus on va pouvoir mettre nos énergies à réduire le temps d’attente d’une personne soit sur la liste d’attente, soit dans la période d’évaluation pour un don vivant, je pense que tout le monde va être gagnant là-dedans. 

Alex Maheux

Matthew, s’il y avait un message à donner au patient, que vous n’avez pas toujours l’opportunité à parler, qu’est-ce que vous diriez?

Matthew Weiss

Bien, moi, je veux juste faire écho à un point que Sylvie a fait tantôt, qui est d’en parler avec vos proches. Parce que c’est sûr que c’est… Le moment où vous êtes un donneur potentiel mais que vous êtes inconscient, vous avez une grosse blessure et vous n’êtes pas capable de parler vous-même, si vos proches savent que le don d’organes était important pour vous, ça fait que cette décision est déjà prise. Il y aura tellement d’autres affaires. Il y a toutes les émotions que la personne a eu une blessure grave, est dans un coma. Vous ne voulez pas partir aussi un don d’organes. Vous voulez qu’il y ait au moins une décision qui est juste simple, c’est fait, et comme ça vous pouvez mettre votre énergie et vos émotions ailleurs pour prendre les autres décisions qui sont toutes bouleversantes et difficiles. 

Sylvie Charbonneau

Je suis tout à fait d’accord avec Matthew. Je pense qu’un des messages importants aux familles, c’est : parlez-en avant, parce que pendant que vous êtes dans une situation critique, les émotions prennent le dessus, puis ce n’est pas le temps de parler de ça, puis on n’a pas envie de parler de ça. Donc, c’est important qu’on soit au clair dans nos familles avant qu’arrive un événement. Puis parler du don d’organes, ça ne fait pas mourir. 

Matthew Weiss

Moi, je dis… C’est sûr qu’elle le soutient aussi, mais j’ai dit à ma femme que si jamais je suis dans une situation où je peux donner, elle a dit : non, je vais hanter le restant de ces jours-là. 

<rire>

Sylvie Charbonneau

C’est drôle, Matthew, parce que j’ai dit la même chose à ma famille. Je vais venir vous hanter pour le reste de vos jours. 

Alex Maheux

Sur cette note, Sylvie, merci d’avoir partagé votre histoire avec nous. On pense à toi et à Benoît. Et Matthew, merci d’avoir été ici pour nous aider à mieux comprendre le système et comment on peut avancer. 

Matthew Weiss

Merci à vous. 

Sylvie Charbonneau

Merci. C’est un beau cadeau à faire. C’est un beau cadeau à la vie. Merci. 

Alex Maheux

Suite à l’enregistrement de cette entrevue, nous avons eu la merveilleuse nouvelle que
le fils de Sylvie, Benoit, a reçu la greffe d’un rein. Nous souhaitons à Benoit une bonne
récupération et nos meilleurs souhaits à la famille.

Alex Maheux

Merci d’avoir été à l’écoute. Revenez-nous la prochaine fois, quand nous vous présenterons d’autres sujets et perspectives de santé intéressants. Pour en savoir plus sur l’ICIS, consultez notre site Web icis.ca  Si vous avez apprécié notre discussion d’aujourd’hui, abonnez-vous à notre balado et suivez-nous sur nos réseaux sociaux. Cette émission a été produite par Meagan Foreman, et notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein. Ici, Alex Maheux. À la prochaine.

<Fin de l’enregistrement>

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